à cause de ce mystère même, pour lui faire jouer un r?le dans ses annales, n'en e?t connu que ce qu'il nous en avait transmis. Alors je résolus de me procurer par moi-même les détails que j'avais tant désiré qu'un autre me donnat. Je fouillai les archives de la marine; elles ne m'offrirent qu'une copie de lettres de marque à lui données par Louis XVI. J'interrogeai les annales de la Convention: je n'y trouvai que l'arrêté pris à l'époque de sa mort. Je questionnai les contemporains; à cette époque -- c'était vers 1829 -- il en restait encore: ils me dirent qu'il était enterré au Père-Lachaise. Et, de ces premières tentatives, voilà tout ce que je retirai.
Alors, comme je viens d'avoir recours à Méry, j'eus recours à Nodier; Nodier, cet autre ami d'un autre temps, à la mémoire duquel j'ai voué un culte, et que j'évoque chaque fois que mon coeur, aux amis du présent, a besoin d'adjoindre un ami du passé. J'eus recours à Nodier, ma bibliothèque vivante. Nodier recueillit un instant ses souvenirs; puis me parla d'un petit livre in-18 écrit par Paul John lui-même et contenant des mémoires sur sa vie, avec cette épigraphe: Munera sunt laudi. Je me mis aussit?t en quête de la précieuse publication; mais j'eus beau interroger les bouquinistes, fouiller les bibliothèques, battre les quais, mettre en réquisition Guillemot et Techener, je ne trouvai rien qu'un libelle infame, intitulé Paul John, ou Prophéties sur l'Amérique, l'Angleterre, la France, l'Espagne et la Hollande, libelle que je jetai de dégo?t à la quatrième page admirant combien les poisons se conservent si longtemps et si parfaitement, de sorte qu'on les trouve toujours là où l'on cherche en vain une nourriture saine et savoureuse.
Je renon?ai donc à toute espérance de ce c?té.
Quelque temps après, entre la représentation de Christine et celle d'Antony, je fis un voyage à Nantes; de Nantes, je gagnai les c?tes; je visitai Brest, Quimper et Lorient.
Pourquoi allais-je à Lorient? -- Admirez la puissance d'une idée fixe! Mon pauvre ami Vatout, qui n'avait pour moi qu'un défaut, celui de vouloir me protéger malgré moi, fait un roman là-dessus. -- Pourquoi allais-je à Lorient? Parce que j'avais lu, dans une biographie de Paul John, que le célèbre marin était venu trois fois dans ce port. Cette circonstance m'avait frappé. J'avais pris les dates, je n'eus qu'à ouvrir mon portefeuille. J'allai consulter les archives maritimes, et je trouvai, en effet, la trace des stations qu'avaient faites, à différentes époques, dans la rade, les frégates le Ranger et l'Indienne, l'une de dix- huit et l'autre de trente-deux canons. Quant aux motifs qui les avaient amenées, soit ignorance, soit oubli, le secrétaire qui tenait les registres avait négligé de les consigner. J'allais me retirer sans autre renseignement, lorsque je m'avisai d'interroger un vieil employé et de lui demander si, traditionnellement, on avait conservé dans le pays quelque souvenir du capitaine de ces deux batiments. Alors le vieillard me répondit qu'en 1784, étant encore enfant, il avait vu Paul John au Havre, où il était alors, lui qui me parlait, employé à la Santé de la ville.
Quant à Paul John, il était, à cette époque, commodore à bord de la flotte du comte de Vaudreuil.
La réputation de bravoure dont jouissait alors ce marin, et la singularité de ses manières, l'avaient impressionné au point que, de retour en Bretagne, il avait une fois prononcé son nom devant son père, concierge du chateau d'Auray. Le vieillard avait tressailli, et lui avait fait signe de se taire. Le jeune homme avait obéi tout en faisant ses réserves.
Cependant, quelques questions qu'il fit à son père, celui-ci refusa toujours d'y répondre. Mais, la marquise d'Auray étant morte, Emmanuel ayant émigré, Lusignan et Marguerite habitant la Guadeloupe, le vieillard crut pouvoir révéler un jour à son fils une histoire étrange et mystérieuse, à laquelle se trouvait mêlé l'homme sur lequel je lui demandais des détails.
Et cette histoire, il ne l'avait point oubliée, quoique quarante ans à peu près se fussent écoulés entre le récit que lui en avait fait son père et celui qu'il me fit à moi.
Cette histoire tomba parole à parole dans le fond de ma pensée, et y demeura cachée comme cette eau qui tombe goutte à goutte de la vo?te de la grotte et forme peu à peu un bassin dans ses calmes et silencieuses profondeurs; de temps en temps, mon imagination se penchait au bord de cette eau mystérieuse et profonde, et je me disais:
-- Il est cependant l'heure que cette eau jaillisse au dehors et se répande en cascade ou en ruisseau, en torrent ou en lac, à la vivifiante ardeur du soleil.
Seulement, sous quelle forme se répandrait-elle?
Sous la forme du drame, ou sous celle du roman?
à cette époque, vers 1831 et 1832, toute production se présentait à mon
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