pied posé sur le dos de Gazelle et l'autre suspendu en l'air, afin que pas un grain des cent trente livres que le dr?le pesait ne f?t perdu par la pauvre bête.
--Que faites-vous là, imbécile?
--Je vous l'avais bien dit, monsieur, répondit Joseph tout fier de m'avoir prouvé en partie ce qu'il avan?ait.
--Donnez-moi un mouchoir, et ne touchez jamais à cette bête.
--Voilà, monsieur, me dit Joseph en m'apportant l'objet demandé... Mais il n'y a aucune crainte à avoir pour elle... un wagon passerait dessus...
Je m'enfuis au plus vite; mais je n'avais pas descendu vingt marches, que j'entendis Joseph qui fermait ma porte en marmottant entre ses dents:
--Pardieu! je sais ce que je dis... Et puis, d'ailleurs, on voit bien, à la conformation de ces animaux, qu'un canon chargé à mitraille pourrait...
Heureusement, le bruit qu'on faisait dans la rue m'empêcha d'entendre la fin de la maudite phrase.
Le soir, je rentrai assez tard, comme c'est ma coutume. Aux premiers pas que je fis dans ma chambre, je sentis que quelque chose craquait sous ma botte. Je levai vitement le pied, rejetant tout le poids de mon corps sur l'autre jambe: le même craquement se fit entendre de nouveau; je crus que je marchais sur des oeufs. Je baissai ma bougie... Mon tapis était couvert d'escargots.
Joseph m'avait ponctuellement obéi: il avait acheté de la salade et des escargots, avait mis le tout dans un panier au milieu de ma chambre; dix minutes après, soit que la température de l'appartement les e?t dégourdis, soit que la peur d'être croqués se f?t emparée d'eux, toute la caravane s'était mise en route, et elle avait même déjà fait passablement de chemin; ce qui était facile à juger par les traces argentées qu'ils avaient laissées sur les tapis et sur les meubles.
Quant à Gazelle, elle était restée au fond du panier, contre les parois duquel elle n'avait pu grimper. Mais quelques coquilles vides me prouvèrent que la fuite des Israélites n'avait pas été si rapide, qu'elle n'e?t mis la dent sur quelques-uns avant qu'ils eussent le temps de traverser la mer Rouge.
Je commen?ai aussit?t une revue exacte du bataillon qui manoeuvrait dans ma chambre, et par lequel je me souciais peu d'être chargé pendant la nuit; puis, prenant délicatement de la main droite tous les promeneurs, je les fis rentrer, les uns après les autres, dans leur corps de garde, que je tenais de la main gauche, et dont je fermai le couvercle sur eux.
Au bout de cinq minutes, je m'aper?us, que, si je laissais toute cette ménagerie dans ma chambre, je courais le risque de ne pas dormir une minute; c'était un bruit, comme si on e?t enfermé une douzaine de souris dans un sac de noix: je pris donc le parti de transporter le tout à la cuisine.
Chemin faisant, je songeai qu'au train dont allait Gazelle je la trouverais morte d'indigestion le lendemain si je la laissais au milieu d'un magasin de vivres aussi copieux; au même moment et comme par inspiration, j'avisai dans mon souvenir certain baquet placé dans la cour et dans lequel le restaurateur du rez-de-chaussée mettait dégorger son poisson: cela me parut une si merveilleuse h?tellerie pour une testudo aquarum dulcium, que je jugeai inutile de me casser la tête à lui en chercher une autre, et que, la tirant de son réfectoire, je la portai directement au lieu de sa destination.
Je remontai bien vite et m'endormis, persuadé que j'étais l'homme de France le plus ingénieux en expédients.
Le lendemain, Joseph me réveilla dès le matin.
--Oh! monsieur, en voilà une farce! me dit-il en se plantant devant mon lit.
--Quelle farce?
--Celle que votre tortue a faite.
--Comment?
--Eh bien, croiriez-vous qu'elle est sortie de votre appartement, ?a, je ne sais pas comment... qu'elle a descendu les trois étages, et qu'elle a été se mettre au frais dans le vivier du restaurateur?
--Imbécile! tu n'as pas deviné que c'était moi qui l'y avais portée?
--Ah bon!... Vous avez fait là un beau coup, alors!
--Pourquoi cela?
--Pourquoi? Parce qu'elle a mangé la tanche, une tanche superbe qui pesait trois livres.
--Allez me chercher Gazelle, et apportez-moi des balances.
Pendant que Joseph exécutait cet ordre, j'allai à ma bibliothèque, j'ouvris mon Buffon à l'article tortue; car je tenais à m'assurer si ce chélonien était ichtyophage, et je lus ce qui suit:
?Cette tortue d'eau douce, testudo aquarum dulcium c'était bien cela, aime surtout les marais et les eaux dormantes; lorsqu'elle est dans une rivière ou dans un étang, alors elle attaque tous les poissons indistinctement, même les plus gros: elle les mord sous le ventre, les y blesse fortement, et, lorsqu'ils sont épuisés par la perte du sang, elle les dévore avec la plus grande avidité et ne laisse guère que les arêtes, la tête des poissons, et même leur vessie natatoire, qui remonte quelquefois à la surface de l'eau.?
--Diable! diable! dis-je; le restaurateur a
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