renaudiste, et que si, sans y penser, j'ai le malheur de l'envoyer à la cuisine au moment du d?ner, alors tout est perdu. La discussion s'engage sur l'un ou sur l'autre de ces deux braves paladins, les gros mots arrivent, chacun exalte son héros et rabaisse celui de son adversaire; il n'est plus question que de coups d'épée, de géants occis, de chatelaines délivrées. De la cuisine, plus un mot; de sorte que le pot-au-feu se consume, les broches s'arrêtent, le r?ti br?le, les sauces tournent, le d?ner est mauvais, les voyageurs se plaignent, l'h?tel se vide, et tout cela parce qu'un gredin de cuisinier s'est mis en tête d'être fanatique de Roland! Comprenez-vous maintenant?
--Tiens, c'est dr?le.
--Mais non, c'est que ce n'est pas dr?le du tout, surtout pour moi; mais, quant à vous, cela doit vous être parfaitement égal. Une fois en Sicile, il n'aura plus là son damné improvisateur et son enragé valet de chambre qui lui font tourner la tête. Il r?tira, il fricassera à merveille, et de plus, il fera tout pour vous, si vous lui dites seulement une fois tous les huit jours qu'Angélique est une dr?lesse et Médor un polisson.
--Je le lui dirai.
--Vous le prenez donc?
--Sans doute, puisque vous m'en répondez.
On fit monter Cama. Cama fit quelques objections sur le peu de temps qu'il avait pour se préparer à un pareil voyage, et sur les dangers qu'il pouvait y courir; mais, dans la conversation, je trouvai moyen de placer un mot gracieux pour Roland. Aussit?t Cama écarquilla ses gros yeux, fendit sa bouche jusqu'aux oreilles, se mit à rire stupidement, et, séduit par notre communauté d'opinion sur le neveu de Charlemagne, se mit entièrement à ma disposition.
Il en résulta que, comme je l'avais promis au capitaine, j'envoyai Cama le même soir coucher à bord, avec les malles, les matelas et les oreillers, que nous allames rejoindre le lendemain à l'heure convenue.
Nous trouvames tous nos matelots sur le pont et nous attendant. Sans doute ils avaient aussi grande impatience de nous conna?tre que nous de les voir. Ce n'était pas une question moindre pour eux que pour nous, que celle de savoir si nos caractères sympathiseraient avec les leurs; il y allait pour nous de presque tout le plaisir que nous nous promettions du voyage; il y allait pour eux de leur bien-être et de leur tranquillité pendant deux ou trois mois.
L'équipage se composait de neuf hommes, d'un mousse et d'un enfant, tous nés ou du moins domiciliés au village della Pace, près de Messine. C'étaient de braves Siciliens dans toute la force du terme, à la taille courte, aux membres robustes, au teint basané, aux yeux arabes, détestant les Calabrais, leurs voisins, et exécrant les Napolitains, leurs ma?tres; parlant ce doux idiome de Méli qui semble un chant, et comprenant à peine la langue florentine si fière de la suprématie que lui accorde son académie de la Crusca; toujours complaisants, jamais serviles, nous appelant excellence et nous baisant la main, parce que cette formule et cette action, qui chez nous ont un caractère de bassesse, ne sont chez eux que l'expression de la politesse et du dévouement. A la fin du voyage, ils arrivèrent à nous aimer comme des frères tout en continuant à nous respecter comme des supérieurs, distinction subtile où l'affection et le devoir avaient gardé leur place; et ils nous rendaient juste ce que nous avions le droit d'attendre en échange de notre argent et de nos bons procédés.
Leurs noms étaient: Giuseppe Arena, capitaine; Nunzio, premier pilote; Vicenzo, second pilote; Pietro, frère de Nunzio; Giovanni, Filippo, Antonio, Sieni, Ga?tano. Le mousse et le fils du capitaine, gamin agé de six ou sept ans, complétaient l'équipage.
Maintenant, que nos lecteurs nous permettent, après avoir embrassé avec nous du regard l'équipage en masse, de jeter un coup d'oeil particulier sur ceux de ces braves qui se distinguent par un caractère ou une spécialité quelconques: nous avons à faire avec eux un assez long voyage; et pour qu'ils prennent intérêt à notre récit, il faut qu'ils connaissent nos compagnons de route. Nous allons donc les faire appara?tre tout à coup à leurs yeux tels qu'ils se découvriront à nous successivement.
Le capitaine Giuseppe Arena était, comme nous l'avons dit, un bel homme de vingt-huit ou trente ans, à la figure franche et ouverte dans les circonstances habituelles, à la figure calme et impassible dans les moments de danger. Il n'avait que très peu de connaissances en navigation; mais comme il possédait quelque fortune, il avait acheté son batiment, et cet achat lui avait naturellement valu le titre de capitaine. Quant au droit ou au pouvoir que ce titre lui donnait sur ses hommes, nous ne le v?mes pas une seule fois en faire usage. A part une légère nuance de respect qu'on lui accordait sans qu'il l'exigeat,
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