on sait quel jour ils partent et quel jour ils arrivent. A Naples, point. Le capitaine est le seul juge de l'opportunité de son voyage. Quand il a son contingent de passagers, il allume ses fourneaux et fait sonner la cloche. Jusque-là il se repose, lui et son batiment.
Malheureusement nous étions au 22 ao?t, et comme personne n'était curieux d'aller se faire r?tir en Sicile par une chaleur de trente degrés, les passagers ne donnaient pas. Le second, qui par hasard était à bord, nous dit que le paquebot ne se mettrait certainement pas en route avant huit jours, et encore qu'il ne pouvait pas même pour cette époque nous garantir le départ.
Nous étions sur le m?le à nous désespérer de ce contretemps, tandis que Milord furetait partout pour voir s'il ne trouverait pas quelque chat à manger, lorsqu'un matelot s'approcha de nous, le chapeau à la main, et nous adressa la parole en patois sicilien. Si peu familiarisés que nous fussions avec cet idiome, il ne s'éloignait pas assez de l'italien pour que je ne pusse comprendre qu'il nous offrait de nous conduire où nous voudrions. Nous lui demandames alors sur quoi il comptait nous conduire, disposés que nous étions à partir sur quelque chose que ce f?t. Aussit?t il marcha devant nous, et, s'arrêtant près de la lanterne, il nous montra, à cinquante pas en mer, et dormant sur son ancre, un charmant petit batiment de la force d'un chasse-marée, mais si coquettement peint en vert et en rouge, que nous nous sent?mes pris tout d'abord pour lui d'une sympathie qui se manifesta sans doute sur notre physionomie, car, sans attendre notre réponse, le matelot fit signe à une barque de venir à nous, sauta dedans, et nous tendit la main pour nous aider à y descendre.
Notre speronare, c'est le nom que l'on donne à ces sortes de batiments, n'avait rien à perdre à l'examen, et plus nous nous approchions du navire, plus nous voyions se développer ses formes élégantes et ressortir la vivacité de ses couleurs. Il en résulta qu'avant de mettre le pied à bord, nous étions déjà à moitié décidés.
Nous y trouvames le capitaine. C'était un beau jeune homme de vingt-huit à trente ans, à la figure ouverte et décidée. Il parlait un peu mieux italien que son matelot. Nous p?mes donc nous entendre, ou à peu près. Un quart d'heure plus tard, nous avions fait marché à huit ducats par jour. Moyennant huit ducats par jour, le batiment et l'équipage nous appartenaient corps et ame, planches et toiles. Nous pouvions le garder tant que nous voudrions, le mener où nous voudrions, le quitter où nous voudrions: nous étions libres; seulement tant tenu, tant payé. C'était trop juste.
Je descendis dans la cale; le batiment n'était chargé que de son lest. J'exigeai du capitaine qu'il s'engageat positivement à ne prendre ni marchandises ni passagers; il me donna sa parole. Il avait l'air si franc, que je ne lui demandai pas d'autre garantie.
Nous remontames sur le pont, et je visitai notre cabine. C'était tout bonnement une espèce de tente circulaire en bois, établie à la poupe, et assez solidement amarrée à la membrure du batiment pour n'avoir rien à craindre d'une rafale de vent ou d'un coup de mer. Derrière cette tente était un espace libre pour la manoeuvre du gouvernail. C'était le département du pilote. Cette tente était parfaitement vide. C'était à nous de nous procurer les meubles nécessaires, le capitaine de la _Santa-Maria di Pie di Grotta_ ne logeant point en garni. Au reste, vu le peu d'espace, ces meubles devaient se borner à deux matelas, à deux oreillers et à quatre paires de draps. Le plancher servait de couchette. Quant aux matelots, le capitaine compris, ils dormaient ordinairement pêle-mêle dans l'entrepont.
Nous conv?nmes d'envoyer les deux matelas, les deux oreillers et les quatre paires de draps dans la soirée, et le moment du départ fut fixé au lendemain huit heures du matin.
Nous avions déjà fait une centaine de pas, en nous félicitant, Jadin et moi, de notre résolution, lorsque le capitaine courut après nous. Il venait nous recommander par-dessus tout de ne pas oublier de nous munir d'un cuisinier. La recommandation me parut assez étrange pour que je voulusse en avoir l'explication. J'appris alors que, dans l'intérieur de la Sicile, pays sauvage et désolé, où les auberges, quand il y en a, ne sont que des lieux de halte, un cuisinier est une chose de première nécessité. Nous prom?mes au capitaine de lui en envoyer un en même temps que notre roba.
Mon premier soin, en rentrant, fut de m'informer à monsieur Martin Zir, ma?tre de l'h?tel de la Vittoria, où je pourrais trouver le cordon-bleu demandé. Monsieur Martin Zir me répondit que cela tombait à merveille, et qu'il avait justement mon affaire sous la main.
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