Le Salon des Refusés | Page 7

Fernand Desnoyers
d'habit commencent à comprendre que ce mot n'est qu'un nom, comme toute révolution littéraire ou autre en a toujours pris un, nom qui n'engage en rien les individualité entre elles, qui leur laisse leur pleine liberté, et qu'un artiste hardi, indépendant et original peut accepter comme il e?t accepté relui de romantisme en 1830.
Mais cette année tout est bien changé. Il n'y a plus assez de cris contre Courbet; il a envoyé au jury un grand tableau, représentant _des curés ivres_, dont nous allons parler tout à l'heure. Ce tableau était escorté de deux ébauches, une Chasse au renard et un Portrait de dame.
Courbet, médaillé, était re?u de droit; mais _les curés_, dodelinant et barytonnant, ont scandalisé le catholicisme du jury, et le tableau a été--je ne puis pas dire: refusé, car il serait exposé,--a été... remis à la disposition de son auteur qui, ne trouvant aucun endroit public où il fut accepté, a fini par le recevoir dans son atelier, rue Hautefeuille no 32. Tout le monde est invité à venir le contempler tous les jours jusqu'à midi.--On fait queue.
Jamais le ma?tre-peintre Courbet n'avait fait un tableau aussi vivant, aussi amusant, aussi pris sur nature et étudié que celui-là.
Par un beau temps septembral, le long d'un chemin de campagne, s'avance un groupe de curés rabelaisiens, dont un, doucement cahoté sur un joli une, ressemble à un silène rubicond, plein d'une bonhomie vinicole qui semble dire: Mon Dieu, cela ne fait de mal à personne! Un curé à lunettes bleues et au nez pointu le soutient de ci, et un jeune vicaire qui pourrait bien lui appartenir de très-près, tant il lui ressemble, le soutient de là; un autre jeune vicaire--ineffable, celui-là,--tire le grison par la bride; un troisième vicaire ramasse un vieux curé qui butte à chaque pas.
Un peu en arrière, marche à pas comptés un curé bourgeonné, aux cheveux vineux, balancé par le vin, qui tout en perdant son chapeau sans s'en apercevoir, raille la faiblesse de son collègue. La goguenarderie, la sanguinolence coutumière du teint, produite par une longue série de repas copieux et prolongés, l'équilibre de ce curé, sont des merveilles de peinture.
Quatre servantes viennent au loin, égrenant des chapelets, suivant avec un calme béat cette sainte orgie dont elles ont fait la cuisine.
Un brave paysan regarde passer le cortège en riant de tout son coeur et de tout son ventre, mais sans ironie, auprès de sa femme agenouillée, habituée au respect de monsieur le curé.
Certes, ce tableau, un des plus vigoureux et ?les plus animés de Courbet, n'est pas l'oeuvre d'un catholique fervent qui s'incline comme la bonne femme ci-dessus désignée sur le passage d'une débauche presbytérale, mais elle n'annonce pas non plus des intentions malicieuses et subversives contre la religion. On ne reconna?t pas dans cette peinture l'ironie hostile et voltairienne de Béranger, l'inventeur de ce bon curé populaire de Meudon, qui boit et danse avec les fillettes, sur l'herbette, au nez de l'implacable Louis Veuillot.
Courbet n'a fait que représenter une scène significative, expressive et gaie; le rejet la rend plus bruyante, plus voyante que ne l'aurait fait l'admission.
* * * * *

III
=SOMMAIRE=
Missive d'un élève, jeune encore, au nom des Refusés.--étrange pretention.--Un petit lopin.--Arguments sans réplique, réponse accablante.--Le critique d'art revient sur l'eau.--Il est question de M. Brivet-le-Gaillard et de Molière.--Na?veté indispensable.--Premier prix donné à M. Whistler.--Plusieurs tuiles se détachent et tombent sur les têtes du Jury.--La bêtise afflige les uns et réjouit les autres.--Déclaration de principes. --Dithyrambe bien appliqué à M. Signol.--L'art militaire et la religion mal réprésentés dans les arts.--Le suspect Briguiboul est acquitté.--La Mythologie de M. émile Loiseau n'est pas adressée à émilie Demoustier.--Mosa?que ou dessin à petits carreaux.--M. Amand Gautier jette la pierre à la femme adultère.--Le sujet est mis au concours par tout le monde.--Le public refait le tableau.--Un amant en déshabillé, vu de dos.--Le Muséum-Gautier. --Un petit air qui n'est pas de Nargeot.--La Tombe de l'Oiseau ou l'Architecte en démence.--Imitation de Vadé à l'adresse du jury.--La province ne vote pas comme Paris.--Preuves à l'appui.
* * * * *
Nous recevons une lettre de M. Ancourt, un des Refusés hardis inscrits sur le catalogue, une réclamation _au nom des artistes refusés_....
?_Cet élève, jeune encore_, écrit que les Refusés _n'avaient pas ta prétention d'être exposés face à face avec les peintres en renom et même déjà décorés_ (sic).? Mais, alors, quelle était leur prétention en envoyant leurs tableaux à la Commission d'examen?
_Nous n'avons demandé qu'un petit coin_,? répond ledit peintre, ?_pour recueillir, s'il est possible, quelques encouragements_.? Ce petit coin, si modeste, vous pouviez l'obtenir sans vous faire refuser. On ne vous a fait la concession du grand coin de la Contre-Exposition que pour donner satisfaction aux plaignants et réclamants, et les faire ainsi juger, eux et le jury, parle public. Si le public ratifie par sa critique les refus de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 39
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.