dans
sa _réalité_ que d'après l'_idée_ plus ou moins fausse qu'ils ont pu s'en
faire.]
[Note 2: Ariane est une contemporaine de Néron, et non la soeur de
Phèdre: il ne faudrait pas s'y tromper.]
[Note 3: Dans l'édition précédente, nous avons dit les principales
raisons de cet engouement.]
[Note 4: Les romans de Cassandre, d'_Artamène_ et de _Clélie_ en ont
10 chacun; _Cléopâtre_ en a 12, 48 livres et 4153 pages.]
Si le roman historique n'est pas l'histoire, il n'en est pas moins vrai que
les destinées de l'un sont intimement liées à celles de l'autre et que des
progrès ou de l'intelligence de celle-ci dépendent les mérites ou les
défauts de celui-là. Or, quelle idée se fait-on de l'histoire au XVIIe et
au XVIIIe siècle? On connaît, il est vrai, avec assez d'exactitude les
faits et les successions de faits de quelques époques. On sait, par
exemple, que Cyrus fut un grand roi, que Néron incendia une partie de
Rome, que Richard Coeur-de-Lion fut retenu prisonnier en Autriche à
son retour de Palestine et qu'il y eut sous Charles VII une héroïne du
nom de Jeanne d'Arc. Mais quelles étaient les moeurs de ces époques,
leur façon de sentir et de penser, leur âme enfin,--ce qui est justement la
seule matière possible du roman historique,--c'est ce qu'il semble
difficile d'avoir ignoré d'une ignorance plus profonde. Vous pouvez
parcourir Mézeray, pour ne citer que l'historien le plus estimé du XVIIe
siècle, et le seul précisément que l'école descriptive des Chateaubriand
et des Augustin Thierry ait un peu épargné: vous ne rencontrerez aucun
de ces traits pénétrants qui révèlent chez les hommes des temps passés
des âmes différentes des nôtres. Certaines de ses descriptions ne
manquent pourtant pas d'exactitude. Il parle, dans son Histoire de
France avant Clovis, de framées et de francisques; il montre ces
guerriers primitifs chassant «aux Elans, aux Wisens et aux Urochs»,
dans une phrase dont il semble que le rythme n'ait pas échappé à
Chateaubriand. Mais, sans compter que l'_Avant-Clovis_ est de 1682 et
par conséquent postérieur aux romans de Mlle de Scudéry et de La
Calprenède, ce commencement de vérité pittoresque s'arrête à
l'extérieur. Le dedans, l'âme, reste toujours hors de ses prises. Il ne
vient même pas à la pensée de l'historien de se demander si ces dehors
barbares peuvent cacher autre chose qu'une âme de barbare. Il n'y avait
cependant qu'un pas à faire: on ne mit guère qu'un siècle et demi à le
franchir.
En attendant, avec une insouciance et une sécurité vraiment admirables,
on fait subir aux moeurs des temps passés le travestissement le plus
ridicule. Encore s'il s'était contenté de les ignorer! Mais le siècle, avec
une complaisance visible, les façonne à son image et à sa ressemblance.
Par un scrupule dont on ne saurait trop le louer, Mézeray, dans sa
_Galerie des rois de France,_ a fait laisser en blanc les médaillons de
«Faramond» (qu'il appelle aussi «Waramond»), de Clodion, de
Mérovée et de Childéric. Mais il écrit sans sourciller que Childéric était
«d'humeur amoureuse et d'agréable entretien parmi les Dames»; et
au-dessous du portrait d'Hilmetrude, femme de Charlemagne, il laissera
graver:
Ce visage charmant, dont l'extrême beauté Vainquit un Roy vainqueur
des plus superbes Testes, Fait assez voir qu'Amour, par qui tout est
dompté, Sur les conquerans mesme establit ses conquestes.
Étonnez-vous après cela que les romanciers se soient fait le moindre
scrupule de donner «L'air et l'esprit français à l'antique Italie»; que,
malgré leurs noms, Alexandre et Cyrus, Brutus et Constance jargonnent
à l'envi en d'interminables conversations de métaphysique sentimentale,
comme des habitués des Samedis de Mlle de Scudéry; que Solon,
Socrate, Jules César, Bussy d'Amboise, Alcibiade et tous les autres
n'expédient et ne reçoivent que billets galants, ne tiennent que
doucereux et fades propos; que les Croisades ne soient envisagées que
par rapport aux amours d'un Théophile ou d'une Sophie; qu'une Jeanne
d'Arc soit obligée de «décourager» un Baudricourt qui la poursuit de
ses déclarations:
Dormez, adorable Bergère, Fermez ces yeux qui causent tous mes
maux. Je ne veux point troubler leur tranquile repos, Et tout plein de
désirs sans être téméraire, Un seul de vos regards, un seul mot moins
sévère, Récompenseront mes travaux;
que l'unique souci enfin de «Faramond» soit de fléchir la rigueur de la
cruelle Rosemonde! Et demandez-vous d'ailleurs où ce pauvre La
Calprenède aurait bien pu prendre la couleur locale de son
_Faramond!_
À les entendre tous cependant, et qu'ils aient nom Scudéry, La
Calprenède, Mlle de Villandon ou MMmes de Genlis et
Simons-Candeille, les scrupules du plus exact historien n'égaleraient
point leurs scrupules; ils n'avancent rien qu'ils ne soient capables de
soutenir des preuves les plus authentiques; batailles et traités de paix,
expéditions et négociations diplomatiques, depuis les événements les
plus importants jusqu'aux faits les plus minimes, tout a été discuté,
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