Le Pays de lor | Page 3

Hendrik Conscience
��galement quelques autres canots sur le fleuve. Chacun d'eux avait un drapeau belge au gouvernail, et ceux qui le montaient envoyaient leurs adieux �� la ville d'Anvers et �� l'Europe, et faisaient un tel vacarme en entrant et en battant des mains, qu'ils avaient l'air de gens ivres ou fous.
En ce moment, trois personnes, un bourgeois avec ses deux fils, sortirent en hate d'une rue aboutissant au quai et se dirig��rent vers le lieu o�� se trouvaient les barques.
--Vois, vois, mon p��re, dit l'a?n�� des deux jeunes gens, voil�� _le Jonas_ qui attend avec impatience.
--Que Dieu le prot��ge! dit en soupirant le vieux bourgeois.
--Mais allez-vous vous attrister maintenant, mon p��re? dit le jeune homme en riant. Que sont deux ann��es dans la vie d'un homme? J'en ai us�� au moins six devant un stupide pupitre. Pas d'inqui��tude! au contraire, soyez content et ayez confiance. Je reviendrai avec des monceaux d'or, avec des tr��sors, et ce sera mon orgueil d'avoir procur�� �� mon p��re et �� mon fr��re une vie douce et paisible. Ainsi, ne soyez pas inquiet: vous n'aurez jamais de raisons de regretter ce voyage... Mais o�� reste donc Victor? Aurait-il mal aux jambes, maintenant que l'heure d��cisive est arriv��e?
--Sa m��re et lui ont tant de choses �� se dire! murmura le vieux bourgeois.
--Vois, Jean, ils viennent l��-bas, remarqua le fr��re. Cette pauvre Lucie Morrelo, elle marche la t��te haute et para?t contente; mais la servante du capitaine m'a dit que, depuis huit jours, elle ne fait que pleurer lorsqu'elle est seule.
--Tant mieux, mon fr��re.
--Comment cela?
--Certainement, c'est une preuve qu'elle aime sinc��rement mon ami Victor. Cela me r��jouit pour lui.
Les personnes dont l'arriv��e avait ��t�� annonc��e par le fr��re de Jean se montr��rent bient?t au coin de la rue. C'��tait une dame d��j�� vieille, qui marchait en parlant �� c?t�� d'un jeune homme et lui pressait la main avec une tendresse inqui��te, pendant que lui dirigeait vers le Jonas, pavois�� comme aux jours de f��te, des yeux o�� brillait une joyeuse excitation.
Derri��re eux venait un homme avec des joues tann��es et de larges favoris, qui donnait le bras �� une tr��s-jeune fille au visage charmant et d��licat, et s'effor?ait de lui faire comprendre, en riant et en plaisantant, qu'un voyage en mer n'��tait pas plus dangereux qu'une petite excursion �� Bruxelles par le chemin de fer.
--Victor, Victor, d��p��che-toi! on l��ve d��j�� l'ancre l��-bas! s'��cria Jean, qui se tenait debout dans une barque. On nous annonce qu'il n'y a plus de temps �� perdre.
Lorsque la veuve regarda, du bord de l'Escaut, le faible esquif qui allait dans quelques minutes lui enlever, pour toujours peut-��tre, son fils bien-aim��, les larmes tomb��rent sur ses joues et elle le pressa en sanglotant dans ses bras. Ce tendre embrassement ��mut profond��ment Victor, et il s'effor?a de consoler et de tranquilliser sa m��re afflig��e par de douces paroles, et en lui promettant plus d'aisance et de bonheur pour ses vieux jours.
Il f?t rest�� longtemps encore sur le coeur de sa m��re, sourd �� l'appel de son ami; mais le vieux capitaine, l'oncle de Lucie, l'arracha de ses bras en se moquant de cet exc��s d'attendrissement. Jean, de son c?t��, criait plus fort que jamais que la barque ne pouvait attendre plus longtemps.
Victor prit les deux mains de la jeune Lucie dans les siennes et p��n��tra par un long regard jusqu'au fond de son coeur; ses yeux demandaient: ?M'attendras-tu? Ne m'oublieras-tu pas?? La demande et la r��ponse devaient ��tre toutes les deux tr��s-��mouvantes, car un torrent de larmes roula sur le visage de la jeune fille, et le visage du jeune homme s'illumina d'une joie extr��me.
Le marin prit Victor par le bras et l'entra?na vers la barque. Le jeune homme, ��mu, embrassa encore sa m��re et murmura �� son oreille les plus ardentes paroles d'amour.
--Eh bien, puisque Dieu l'a permis, dit-elle en sanglotant, va, mon fils; je prierai pour toi tous les jours, toutes les heures. Ne m'oublie pas! N'oublie pas ta m��re!
Victor descendit dans le canot: les rames plong��rent dans le fleuve... En ce moment, on vit accourir de loin un jeune homme qui agitait ses bras au-dessus de sa t��te, avec des gestes inquiets, et qui criait:
--Attendez un peu, pour l'amour de Dieu! Je suis Donat Kwik; j'ai pay�� mon passage; il faut que j'aille aussi au pays de l'or!
Ce jeune homme paraissait ��tre un paysan; la longue redingote bleue qui lui pendait jusqu'aux talons, son visage rouge et bouffi, son air na?f ou b��te, et surtout ses grandes mains et ses membres robustes et trapus, indiquaient qu'il avait quitt�� les travaux des champs pour courir ��galement apr��s la fortune.
Son premier pas ne fut cependant point heureux. Dans sa crainte que le canot ne part?t sans lui, il sauta avec une pr��cipitation aveugle sur le bord du l��ger esquif et culbuta dans l'eau la
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