Le Négrier, Vol. III

Édouard Corbière
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Le Négrier, Vol. III

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Title: Le Négrier, Vol. III Aventures de mer
Author: édouard Corbière
Release Date: February 8, 2006 [EBook #17716]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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LE NéGRIER
AVENTURES DE MER.
PAR
éDOUARD CORBIèRE DE BREST.
DEUXIèME éDITION.
VOLUME III.

PARIS, A.-J. DéNAIN ET DELAMARE éDITEURS DE L'HISTOIRE DE L'EXPéDITION FRAN?AISE EN éGYPTE 16, RUE VIVIENNE.
1834.

7.
LA TRAVERSéE.
Encore le capitaine Niquelet.--Morale maritime.--Le?ons pour les passagers.--Moeurs des équipages.--Le bonhomme Tropique.--Le baptême.--Ivon prend le nom de M. de Livonière.--Une nuit et un lever de soleil sous le tropique.--La pêche à bord.--Le feu Saint-Elme.--La cagne.
Combien, après avoir passé par toutes les angoisses que nous venions d'éprouver, un marin se sent soulagé, lorsqu'il se trouve en pleine mer, affranchi, pour ainsi dire, de toutes les tribulations auxquelles il laisse les habitans de la terre en proie! Il n'a plus qu'à combattre les élémens qui se disputent sa vie, et cette lutte ne saurait effrayer son courage, ni lasser sa patience. Son ame au contraire aime à s'élever au niveau des dangers, qu'il a mille fois affrontés, et à grandir dans les périls nouveaux qu'il prévoit encore. Viennent les Anglais et les tempêtes, me disais-je! j'ai de quoi leur tenir tête. Avec un vaillant capitaine, un bon navire, et l'Océan à parcourir comme notre domaine, nous n'avons rien à craindre; et en effet, tous les marins, dès qu'ils ont mis le pied à la mer et qu'ils ont perdu la vue des c?tes, semblent être chez eux, et dans un asile désormais inviolable!
Le capitaine de la Gazelle ne tarda pas à me prendre en affection, non pas sans doute pour cette gentillesse dont s'étaient enivrées Rosalie et madame Milliken, mais bien parce qu'il remarqua en moi un zèle excessif, et une activité qui était en lui. Car, je dois le faire remarquer ici en l'honneur des marins, à terre, ils peuvent bien témoigner de l'amitié à ceux qui leur plaisent le plus; c'est là, pour eux, comme pour les autres hommes, une affaire de go?t ou de fantaisie; mais, une fois à la mer, ce n'est guère qu'aux plus dévoués et aux plus capables qu'ils accordent leur estime, et cette estime se manifeste quelquefois d'une manière assez bizarre: vous allez en juger par un fait.
Le capitaine Niquelet, par exemple, que j'avais trouvé si aimable, en racontant une de ses aventures, dans le café de Rosalie, ne me parut pas, une fois au large, le même homme. Ce n'était plus ce corsaire si délié, si sémillant, et si bon enfant enfin. Il s'était fait ours ou loup, après quelques jours de mer. Deux jolies passagères, papillonnant autour de lui, quand il se promenait gravement sur le gaillard-d'arrière, parvenaient à peine à lui arracher un sourire, à lui qui, à terre, aurait peut-être jeté toute une fortune par la fenêtre, pour obtenir un seul regard d'une de ces femmes qui, à bord, cherchaient si inutilement à l'agacer. Le second ou le troisième jour de notre sortie de la Manche, il me tutoya: c'était déjà bon signe. Il m'avait grondé sept à huit fois: c'était encore de meilleure augure. Je faisais de mon mieux, en travaillant et en grimpant jour et nuit, pour obtenir un mot approbateur de lui, et néanmoins les mots encourageans ne venaient pas encore. Mais lorsque, devant le capitaine, un officier du bord me donnait ce qu'on appelle un poil, je voyais que Niquelet souffrait. Il m'annon?a brusquement, à la suite d'un grain furieux pendant lequel je m'étais vaillamment employé, que je compterais désormais pour second lieutenant à bord, et que je serais second de quart avec l'officier qui me calinerait le moins. Comme je recevais cette marque d'intérêt, avec un air apparent d'indifférence, Niquelet me demanda si je n'étais pas content.
--Si fait, capitaine, lui répondis-je, mais....
--Mais, quoi?... que te faut-il de plus?
--Un mot consolant de vous: je crains que vous ne m'aimiez pas....
--Eh bien! dit-il en me serrant brusquement le poignet, avec la seule main qui lui restat, est-ce que tu as besoin de pleurer, en me disant cela, enfant que tu es!
Et le bon, le brave capitaine, avait lui-même la larme à l'oeil. Mais, comme s'il s'était repenti de ce mouvement de sensibilité, il me repoussa avec vivacité, en ajoutant: ?Ne parlons plus de tout cela: fais toujours bien ton petit devoir, et puis....? J'étais déjà pressé sur son
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