Le Naturalisme au Thèatre | Page 2

Emile Zola
Peu à peu, elle avait
tâché de s'assouplir, sans y arriver, car les principes autoritaires dont
elle découlait, lui interdisaient formellement, sous peine de mort, toute
concession à l'esprit nouveau. Ce fut lorsqu'elle tenta de s'élargir qu'elle
fut renversée, après un long règne de gloire.
Depuis le dix-huitième siècle, le drame romantique s'agitait donc dans
la tragédie. Les trois unités étaient parfois violées, on donnait plus
d'importance à la décoration et à la figuration, on mettait en scène les
péripéties violentes que la tragédie reléguait dans des récits, comme
pour ne pas troubler par l'action la tranquillité majestueuse de l'analyse
psychologique. D'autre part, la passion de la grande époque était

remplacée par de simples procédés, une pluie grise de médiocrité et
d'ennui tombait sur les planches. On croit voir la tragédie, vers le
commencement de ce siècle, pareille à une haute figure pâle et maigrie,
n'ayant plus sous sa peau blanche une goutte de sang, traînant ses
draperies en lambeaux dans les ténèbres d'une scène, dont la rampe s'est
éteinte d'elle-même. Une renaissance de l'art dramatique sous une
nouvelle formule était fatale, et c'est alors que le drame romantique
planta bruyamment son étendard devant le trou du souffleur. L'heure se
trouvait marquée, un lent travail avait eu lieu, l'insurrection s'avançait
sur un terrain préparé pour la victoire. Et jamais le mot insurrection n'a
été plus juste, car le drame saisit corps à corps la tragédie, et par haine
de cette reine devenue impotente, il voulut briser tout ce qui rappelait
son règne. Elle n'agissait pas, elle gardait une majesté froide sur son
trône, procédant par des discours et des récits; lui, prit pour règle
l'action, l'action outrée, sautant aux quatre coins de la scène, frappant à
droite et à gauche, ne raisonnant et n'analysant plus, étalant sous les
yeux du public l'horreur sanglante des dénouements. Elle avait choisi
pour cadre l'antiquité, les éternels Grecs et les éternels Romains,
immobilisant l'action dans une salle, dans un pérystile de temple; lui,
choisit le moyen âge, fit défiler les preux et les châtelaines, multiplia
les décors étranges, des châteaux plantés à pic sur des fleuves, des
salles d'armes emplies d'armures, des cachots souterrains trempés
d'humidité, des clairs de lune dans des forêts centenaires. Et
l'antagonisme se retrouve ainsi partout; le drame romantique,
brutalement, se fait l'adversaire armé de la tragédie et la combat par
tout ce qu'il peut ramasser de contraire à sa formule.
Il faut insister sur cette rage d'hostilité, dans le beau temps du drame
romantique, car il y a là une indication précieuse. Sans doute, les poètes
qui ont dirigé le mouvement, parlaient de mettre à la scène la vérité des
passions et réclamaient un cadre plus vaste pour y faire tenir la vie
humaine tout entière, avec ses oppositions et ses inconséquences; ainsi,
on se rappelle que le drame romantique a surtout bataillé pour mêler le
rire aux larmes dans une même pièce, en s'appuyant sur cet argument
que la gaieté et la douleur marchent côte à côte ici-bas. Mais, en somme,
la vérité, la réalité importait peu, déplaisait même aux novateurs. Ils
n'avaient qu'une passion, jeter par terre la formule tragique qui les
gênait, la foudroyer à grand bruit, dans une débandade de toutes les

audaces. Ils voulaient, non pas que leurs héros du moyen âge fussent
plus réels que les héros antiques des tragédies, mais qu'ils se
montrassent aussi passionnés et sublimes que ceux-ci se montraient
froids et corrects. Une simple guerre de costumes et de rhétoriques, rien
de plus. On se jetait ses pantins à la tête. Il s'agissait de déchirer les
peplums en l'honneur des pourpoints et de faire que l'amante qui parlait
à son amant, au lieu de l'appeler: Mon seigneur, l'appelât: Mon lion.
D'un côté comme de l'autre, on restait dans la fiction, on décrochait les
étoiles.
Certes, je ne suis pas injuste envers le mouvement romantique. Il a eu
une importance capitale et définitive, il nous a faits ce que nous
sommes, c'est-à-dire des artistes libres. Il était, je le répète, une
révolution nécessaire, une violente émeute qui s'est produite à son
heure pour balayer le règne de la tragédie tombée en enfance.
Seulement, il serait ridicule de vouloir borner au drame romantique
l'évolution de l'art dramatique. Aujourd'hui surtout, on reste stupéfait
quand on lit certaines préfaces, où le mouvement de 1830 est donné
comme une entrée triomphale dans la vérité humaine. Notre recul d'une
quarantaine d'années suffit déjà pour nous faire clairement voir que la
prétendue vérité des romantiques est une continuelle et monstrueuse
exagération du réel, une fantaisie lâchée dans l'outrance. A coup sûr, si
la tragédie est d'une autre fausseté, elle n'est pas plus fausse. Entre les
personnages en peplum qui se promènent avec des confidents et
discutent sans fin leurs passions, et les personnages en pourpoint qui
font les grands
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