comédies, et les drames. Quand le champ sera retourné, ce qui semble inquiétant et irréalisable aujourd'hui, deviendra une besogne facile.
Certes, je ne puis me prononcer sur la forme que prendra le drame de demain; c'est au génie qu'il faut laisser le soin de parler. Mais je me permettrai pourtant d'indiquer la voie dans laquelle j'estime que notre théatre s'engagera.
Il s'agit d'abord de laisser là le drame romantique. Il serait désastreux de lui prendre ses procédés d'outrance, sa rhétorique, sa théorie de l'action quand même, aux dépens de l'analyse des caractères. Les plus beaux modèles du genre ne sont, comme on l'a dit, que des opéras à grand spectacle. Je crois donc qu'on doit remonter jusqu'à la tragédie, non pas, grand Dieu! pour lui emprunter davantage sa rhétorique, son système de confidents, de déclamation, de récits interminables; mais pour revenir à la simplicité de l'action et à l'unique étude psychologique et physiologique des personnages. Le cadre tragique ainsi entendu est excellent: un fait se déroulant dans sa réalité et soulevant chez les personnages des passions et des sentiments, dont l'analyse exacte serait le seul intérêt de la pièce. Et cela dans le milieu contemporain, avec le peuple qui nous entoure.
Mon continuel souci, mon attente pleine d'angoisse est donc de m'interroger, de me demander lequel de nous va avoir la force de se lever tout debout et d'être un homme de génie. Si le drame naturaliste doit être, un homme de génie seul peut l'enfanter. Corneille et Racine ont fait la tragédie. Victor Hugo a fait le drame romantique. Où donc est l'auteur encore inconnu qui doit faire le drame naturaliste! Depuis quelques années, les tentatives n'ont pas manqué. Mais, soit que le public ne f?t pas m?r, soit plut?t qu'aucun des débutants n'e?t le large souffle nécessaire, pas une de ces tentatives n'a eu encore de résultat décisif.
En ces sortes de combats, les petites victoires ne signifient rien; il faut des triomphes, accablant les adversaires, gagnant la foule à la cause. Devant un homme vraiment fort, les spectateurs plieraient les épaules. Puis, cet homme apporterait le mot attendu, la solution du problème, la formule de la vie réelle sur la scène, en la combinant avec la loi d'optique nécessaire au théatre. Il réaliserait enfin ce que les nouveaux venus n'ont pu trouver encore: être assez habile ou assez puissant pour s'imposer, rester assez vrai pour que l'habileté ne le conduis?t pas au mensonge.
Et quelle place immense ce novateur prendrait dans notre littérature dramatique! Il serait au sommet. Il batirait son monument au milieu du désert de médiocrité que nous traversons, parmi les bicoques de boue et de crachat dont on sème au jour le jour nos scènes les plus illustres. Il devrait tout remettre en question et tout refaire, balayer les planches, créer un monde, dont il prendrait les éléments dans la vie, en dehors des traditions. Parmi les rêves d'ambition que peut faire un écrivain à notre époque, il n'en est certainement pas de plus vaste. Le domaine du roman est encombré; le domaine du théatre est libre. A cette heure, en France, une gloire impérissable attend l'homme de génie qui, reprenant l'oeuvre de Molière, trouvera en plein dans la réalité la comédie vivante, le drame vrai de la société moderne.
LE DON
Je parlerai de ce fameux don du théatre, dont il est si souvent question.
On conna?t la théorie. L'auteur dramatique est un homme prédestiné qui na?t avec une étoile au front. Il parle, les foules le reconnaissent et s'inclinent. Dieu l'a pétri d'une matière rare et particulière. Son cerveau a des cases en plus. Il est le dompteur qui apporte une électricité dans le regard. Et ce don, cette flamme divine est d'une qualité si précieuse, qu'elle ne descend et ne br?le que sur quelques têtes choisies, une douzaine au plus par génération.
Cela fait sourire. Voyez-vous l'auteur dramatique transformé en oint du Seigneur! J'ignore pourquoi, par décret, on n'autoriserait pas nos vaudevillistes et nos dramaturges à porter un costume de pontifes pour les différencier de la foule. Comme ce monde du théatre gratte et exaspère la vanité! Il n'y a pas que les comédiens qui se haussent sur les planches et se donnent en continuel spectacle. Voilà les auteurs dramatiques gagnés par cette fièvre. Ils veulent être exceptionnels, ils ont des secrets comme les francs-ma?ons, ils lèvent les épaules de pitié quand un profane touche à leur art, ils déclarent modestement qu'ils ont un génie particulier; mon Dieu! oui, eux-mêmes ne sauraient dire pourquoi ils ont ce talent, c'est comme cela, c'est le ciel qui l'a voulu. On peut chercher à leur dérober leur secret; peine inutile, le travail, qui mène à tout, ne mène pas à la science du théatre. Et la critique moutonnière accrédite cette belle croyance-là, fait ce joli métier de décourager les travailleurs.
Voyons, il faudrait s'entendre.
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