pas encore recouvré ma raison?
--Léonard, mon ami, oh! je t'en supplie, ne bouge pas! Reste, reste tranquille! C'est moi, c'est Rosalie qui vient te rendre à la vie... mais, au nom du ciel, ne bouge pas!
--Rosalie!... mais comment?... Non, ma tête s'égare... c'est impossible!... Que je suis malheureux!
--Il ne me reconna?t pas! Léonard, Léonard, ne me retire pas ta main.... Regarde-moi, regarde-moi bien encore. C'est moi, c'est ta Rosalie!
Sa main était dans la mienne; je la touchais, je la pressais de mes doigts agités. Sa tête, penchée sur ma figure, m'inondait de larmes.
--Ah! s'il est vrai que le délire ne m'abuse pas, dis-moi, apprends-moi comment il se fait que je te voie ici? Parle, parle; j'ai besoin de t'entendre encore. Où suis-je? est-ce bien toi, toi, Rosalie?
--Léonard, je te dirai tout... Mais, au nom du ciel, ne parle pas; qu'il te suffise de me savoir près de toi, près de toi pour toujours, pour la vie.
--Pour la vie... près de moi!... mais si c'était un songe!... J'en mourrais. Rosalie, ne m'abuse pas. Et alors sa bouche rapprochée de la mienne, se reposa sur mon front br?lant.
--Que fais-tu, malheureuse! Si tu m'aimes, crains de m'approcher, et de respirer le mal qui m'embrase encore!
--Et que puis-je craindre quand tu m'es rendu, et que je suis auprès de toi? Vingt fois pendant tes plus cruels accès, n'ai-je pas cherché à éteindre sur ta bouche le feu qui la consumait?
--Quoi, pendant mon délire tu n'as pas craint?... Ah! je ne m'abusais donc pas, c'étaient tes baisers qui suspendaient mes douleurs poignantes; c'était dans ta main que ma br?lante main reposait avec plus de calme. Oui, oui, maintenant je ne redoute plus d'être séduit par une illusion cruelle: c'est toi, c'est bien toi!...
Un moment d'abattement succéda à cet excès d'émotions trop vives pour moi. Peu à peu je revins à un état plus paisible. Je voulus savoir de la bouche de mon amie par quel prodige je jouissais du bonheur de la revoir...
--Je t'apprendrai tout ce que tu veux savoir; mais, avant tout, promets-moi par un signe seulement que tu ne parleras pas.
Je le lui promis, et j'écoutai en souriant de bonheur et d'espoir:
--Un marin, venu de la Martinique, m'apprit à Roscoff comment tu étais parvenu à te sauver d'Angleterre: il t'avait parlé ici. Ces renseignemens me suffirent. Je quittai Roscoff, où je ne pouvais plus vivre privée de toi. Je me rendis à Brest. Je vis ta mère; elle m'accueillit avec bonté, et elle ne put me détourner du projet que j'avais formé. Arrivée en Angleterre je parvins à m'assurer un passage sur un batiment qui allait à Sainte-Lucie. Je partis...
--Pauvre amie!
--Mais tu m'as promis de m'écouter en silence, mon ami.... En arrivant sur les c?tes de la Martinique, le capitaine de notre batiment fut informé, par un navire que nous rencontrames, de la prise de l'?le. Il se décida alors à faire voile pour Saint-Pierre, et depuis deux jours je jouis du bonheur d'être auprès de toi et de t'avoir rappelé à la vie.
--A la vie? Ah! oui, je sens maintenant que je pourrai vivre encore, et si jamais le sort me rend à la santé...
--Le sort! Dis un autre mot, je t'en supplie.
--Et si jamais la Providence...
--Oh! encore un autre mot, dis-le, dis-le pour moi, je t'en prie, à genoux!
--Eh bien! puisque tu le veux, si jamais le Ciel permet que je recouvre la santé, c'est toi qui seras ma consolation, mon ange tutélaire, mon dieu sauveur.
--C'est assez maintenant; je ne veux plus que tu ouvres la bouche: tes yeux me disent tout ce que je désire savoir de toi. C'est du repos qu'il faut à tes sens épuisés. Dors, dors en paix près de moi. Ma main ne quittera plus la tienne, et mes yeux veilleront sur ton sommeil, sur ton existence...
Je voulais encore m'enivrer du son de sa voix et du feu de ses regards caressans: son doigt placé sur mes lèvres me défendit de parler, et je me laissai aller au sommeil le plus doux que j'eusse jamais go?té.
Celui-là seul qui a éprouvé l'amertume des regrets et les déchiremens du désespoir, conna?t tout ce qu'il y a de divin dans l'amour d'une femme; mais il sait aussi que ce n'est qu'au prix du malheur que l'on apprend à apprécier la douceur d'aimer un être qui s'est associé à toute votre existence. Les soins de Rosalie, sa tendresse si attentive et si ingénieuse, me rendirent bient?t à la santé. J'oubliai tout auprès d'elle, et mes maux et ces chagrins qui affectent tant quand on est jeune, et qui s'effacent si vite lorsqu'à vingt ans on a, pour se consoler, une ma?tresse comme celle que je venais de retrouver. Bient?t enfin je savourai un bonheur pour lequel je ne me croyais pas fait. J'eus des jours de félicité et de calme,
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