fermaient leurs malles à tout moment. C'était une nouvelle vie qui circulait dans leurs corps si longtemps abattus. La terre était devant eux. Les émotions pénibles, les privations, les petites querelles, tout allait être oublié, à la vue de la Martinique. Le jour où l'on découvre la terre est un jour de rédemption et de pacification générale.
Le capitaine se disposait aussi, en feuilletant ses papiers, à se présenter bient?t aux autorités de Saint-Pierre, et à ses correspondans. Il fit appeler un à un les passagers dans la chambre, pour avoir, avec chacun d'eux, un petit entretien préparatoire. Placé auprès du capot, j'entendis tout.
--Comme, en arrivant à Saint-Pierre, il me faudra rendre compte, au commissaire de la ville, de ce que vous venez faire dans la colonie, vous ne trouverez pas mauvais, leur dit-il, que je vous demande quels sont vos projets définitifs?
Une de nos dames lui répondit qu'elle allait à la Martinique, pour changer d'air et refaire sa santé.
--Mais jamais je n'ai entendu dire que l'air f?t meilleur à la Martinique qu'en France!
--Personne, je crois, monsieur le capitaine, ne peut m'empêcher d'aimer la chaleur.
--Et quels sont encore vos moyens d'existence, mademoiselle?
--Mes moyens d'existence, monsieur? Un homme plus galant ou moins curieux que vous, m'aurait épargné une telle question.
En pronon?ant ces mots, mademoiselle Amélia de Saint-Amour se mirait dans une glace, placée au fond de la chambre, en se prenant la taille avec complaisance.
--Ah! j'entends, dit Niquelet après une pause; au surplus, chacun son industrie!
--Vous comprenez donc maintenant? Monsieur? C'est, ma foi! fort heureux.
Arriva le tour d'un grand et beau jeune blond, qui pendant la traversée, paraissait avoir fait la passion jalouse et l'heureux désespoir de nos deux jolies voyageuses.
--Et vous, monsieur Isidore, vous allez à la Martinique, autant que je puis me rappeler ce que vous m'avez dit, pour....?
--Je vais à la Martinique, capitaine, en pacotille.
--Comment en pacotille? Mais vous n'avez embarqué aucune espèce de marchandises à bord!
--Ne me suis-je pas embarqué moi-même avec une taille de cinq pieds six pouces, ma figure, ma jambe et mes espérances enfin?
--Mais sur quoi fondez-vous vos espérances?
--Sur l'avenir.
--Et votre avenir enfin?
--Sur mes espérances. On dit que les blonds sont très-rares et fort recherchés dans le pays.
--Grand Dieu, que je vous plains avec votre pacotille!
--Oh! le débit de cette marchandise ne m'embarrassera nullement, je vous assure.
--Pauvre jeune homme! Si le commerce pouvait aller pour vous encore aussi bien que pour mademoiselle de Saint-Amour!... Elle, au moins, a des charmes qui pourront porter intérêt: c'est enfin un petit capital; mais vous?
--N'ai-je pas, comme elle, les charmes de mon sexe? et peut-être qu'en réunissant nos deux industries...
--Allons, fou que vous êtes, si jamais, avec vos moyens personnels de fortune, vous venez à manquer de pain, vous viendrez d?ner à bord de la Gazelle, où votre couvert sera mis pendant tout le temps que je resterai à Saint-Pierre. Voyons les autres passagers.
Les renseignemens donnés au capitaine, par nos autres chercheurs de fortune, ne présentèrent rien d'intéressant; tous allaient ramasser de l'or, et ils croyaient déjà toucher à la terre promise...
Niquelet avait tout calculé pour attérir de nuit. Le soir du trente-unième jour de notre navigation, il se pla?a en vedette au bossoir de babord, et n'en bougea plus. Les matelots se dirent: Courte-Manche (c'était le nom de guerre qu'ils lui avaient donné) sent queuque chose, et le chien a le museau fin et le nez creux. A minuit, on le vit passer rapidement du bossoir vers l'arrière, regarder le compas et ordonner au timonnier de laisser porter un quart sur babord. Il a senti queuque chose, c'est s?r, s'écrièrent les matelots, à qui une bouteille d'eau-de-vie, suspendue au grand étai, avait été promise pour le premier qui apercevrait la terre. Au moment même où nous laissions arriver au pas comme l'avait ordonné le capitaine, tout l'équipage découvrit, par le c?té de tribord, deux grands navires courant sous les huniers, orientés au plus près, tribord amures. Des feux, allumés dans leurs longues batteries, laissaient voir une filée de sabords que nous aurions pu compter un à un. _Rentrons en un coup de temps nos bonnettes, amenons en double nos huniers et la voile de fortune_, nous commande à demi-voix Niquelet; et notre goélette, rase sur l'eau avec sa mature effilée, devint presque imperceptible pour les croiseurs anglais, qui continuaient silencieusement leur route, comme si tout avait dormi à bord, et les équiqages et les navires mêmes ?_Ils ne nous ont pas vus, ils ne nous ont pas vus!_ nous dit Niquelet, en se frottant la tête avec un sentiment de satisfaction facile à concevoir. Encore une bonne de parée! Un gros grain noir nous arriva et nous cacha aux vaisseaux anglais, avec nos voiles, qui furent rehissées dans un clin d'oeil après la bourrasque. La go?lette, poussée par le gran, filait de manière à sombrer par l'avant, tant
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