mon père n'eut pas de repos qu'il n'e?t promis à mon pays qu'il accepterait son cheval.
L'entrevue de mon ami et de ma mère fut plaisante. Ivon l'embrassa, comme s'il l'e?t connue depuis dix ans, et il ne l'appela plus dès cet instant, que ma bonne femme de mère. Le lendemain de son arrivée, il était établi dans la maison, comme il devait l'être dans le café de Rosalie, à l'Anglais sauté.
--Et Rosalie, que fait elle? lui demandai-je.
--Elle fait tout ce qu'elle veut: sa boutique ne désemplit pas; mais elle m'a dit que si je ne te ramenais pas avec moi à Roscoff, elle ne me dirait plus une seule parole de sa vie. Ces femmes-là ?a vous a des idées!...
--Eh bien, demain je pars avec toi.
--A la bonne heure, et tu feras bien; car, vois-tu, depuis que tu es ici à balander d'un bord et de l'autre dans les rues, moi j'ai arrangé une affaire superbe.
--Quelle affaire?
--Oh! une affaire magnifique! J'ai pris un intérêt dans un petit corsaire d'été, taillé pour la course et pour l'amour. Trente-deux hommes d'équipage, bordant vingt-quatre avirons; il a filé huit noeuds au plus près du vent en venant de Saint-Malo à l'?le de Bas. Je serai second à bord et toi lieutenant; c'est une affaire dans le sac. Le capitaine est un fameux lapin, et si nous ne faisons pas un bon coup cet été avec notre petit lougre, il faudra qu'il n'y ait plus rien à gratter dans la Manche.
Le projet d'Ivon me parut ravissant. Un joli petit lougre, à bord duquel je serais lieutenant, ravageant toute la c?te d'Angleterre, et ramenant de magnifiques prises à Roscoff, où je retrouverais Rosalie, que j'enrichirais du fruit de mes exploits! Tout cela me tournait déjà la tête. Allons à Roscoff, de suite, m'écriai-je!
--Et tes parens, me demanda Ivon, que vont-ils dire?
--Peu m'importe, ce qu'ils voudront.
--En ce cas-là, faisons notre sac: ce ne sera pas long; j'ai toujours ma malle dans un bas de coton. Je vais d'un coup de pied arrêter deux chevaux de louage; et, demain matin, nous larguons nos amarres et nous torchons de la toile que la barbe en fumera.
La résolution que je venais de prendre affligea ma famille; mais, quelque chagrin qu'éprouvat ma mère, en me voyant m'éloigner pour courir encore les hasards, elle comprit qu'il serait inutile d'opposer des obstacles à une résolution que sa résistance ne ferait qu'irriter. Mon père sentait que ce qu'il me restait de mieux à faire, c'était de continuer la carrière que je m'étais ouverte, en dépit de tout.
Le lendemain, je partis donc pour Roscoff, baigné des larmes de mes parens et couvert des embrassades de mes amis. Il fut impossible à mon père de faire reprendre à Ivon le cheval dont il avait voulu lui faire cadeau. Ivon, sous l'égide duquel ma famille m'avait placé, ne répondit aux dernières recommandations de mon père et de mon frère, que par ces seuls mots: ?Appelez-moi le dernier des gueux, si, avant qu'on ne le tue, je ne me suis pas fait casser mille fois la figure. Adieu, tout le monde.?
Nous voilà tous les deux sur la route de Brest à Roscoff: moi, un peu ému de notre scène d'adieux, et Ivon, tapant du bout de son gourdin, sur son cheval et sur le mien.
Assis sur sa monture, comme sur une vergue, mon pays, les jambes écartées, les pieds en dehors et les bras en l'air, allait fort bon train. Il m'encourageait à l'imiter, malgré l'effet que produisait sur moi le frottement d'une mauvaise selle. ?C'est Rosalie, me criait-il en galoppant qui réparera les petites avaries que les coups d'acculage te font dans ton arrière.? Et, à ce nom de Rosalie, je frappais de toutes mes forces les flancs de mon cheval essoufflé. Vers quatre à cinq heures du soir, le pavé de Roscoff étincelait sous les fers usés de nos montures. Mon compagnon de route, pour rendre notre entrée dans la ville plus solennelle, criait à tue-tête aux passans: _place donc, tas de parias, que je passe! En apercevant le café de l'Anglais sauté_, le coeur faillit me manquer! Ivon y était rendu le premier: Rosalie ne fit qu'un saut de son comptoir dans mes bras, et, porté à moitié par elle, je me trouvai entra?né dans la salle, où une vingtaine d'officiers de corsaire paraissaient tout étonnés de l'empressement avec lequel la ma?tresse du logis les avait quittés, pour prodiguer tant de caresses à un joli petit gar?on, décoré du ruban des héros.
--Est-ce son frère, son cousin? se demandaient les uns.
--C'est mieux que ?a, répondait Ivon en clignotant de l'oeil.
--Est-ce que, par hasard, ce serait son amant?
--Pas encore, répliquait de nouveau Ivon; mais ?a viendra avec l'age. Pour le moment, il vous suffira de savoir que c'est mon petit matelot, celui qui a fait sauter
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