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Le Horla
The Project Gutenberg EBook of Le Horla and Others, by Guy de Maupassant This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net
Title: Le Horla and Others
Author: Guy de Maupassant
Release Date: January 22, 2004 [EBook #10775]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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GUY DE MAUPASSANT
Le Horla
1887
LE HORLA
8 mai.--Quelle journée admirable! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage tout entière. J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses a?eux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-même.
J'aime ma maison où j'ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matinées, jetant jusqu'à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d'airain que la brise m'apporte, tant?t plus fort et tant?t plus affaibli, suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit.
Comme il faisait bon ce matin!
Vers onze heures, un long convoi de navires, tra?nés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui ralait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.
Après deux go?lettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mats brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.
12 mai.--J'ai un peu de fièvre depuis quelques jours; je me sens souffrant, ou plut?t je me sens triste.
D'où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse. On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m'éveille plein de ga?té, avec des envies de chanter dans la gorge.--Pourquoi?--Je descends le long de l'eau; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m'attendait chez moi.--Pourquoi?--Est-ce un frisson de froid qui, fr?lant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon ame? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée? Sait-on? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous fr?lons sans le conna?tre, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables?
Comme il est profond, ce mystère de l'Invisible! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d'une étoile, ni les habitants d'une goutte d'eau... avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l'air en notes sonores. Elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce mouvement et par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui rend chantante l'agitation muette de la nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec notre go?t, qui peut à peine discerner l'age d'un vin!
Ah! si nous avions d'autres organes qui accompliraient en notre faveur d'autres miracles, que de choses nous pourrions découvrir encore autour de nous!
16 mai.--Je suis malade, décidément! Je me portais si bien le mois dernier! J'ai la fièvre, une fièvre atroce, ou plut?t un énervement fiévreux, qui rend mon ame aussi souffrante que mon corps. J'ai sans cesse cette sensation affreuse d'un danger mena?ant, cette appréhension d'un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l'atteinte d'un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.
18 mai.--Je viens d'aller consulter mon médecin, car je ne pouvais plus dormir.
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