Le Grand Meaulnes | Page 9

Alain-Fournier
De cette fa?on nous pourrions d��s ce soir reconduire l'attelage �� la Belle-Etoile sans dire ce qui s'��tait pass��. Ensuite, on d��ciderait de ce qu'il faudrait raconter aux gens du pays et ��crire �� la m��re de Meaulnes... Et l'homme fouetta sa b��te, en refusant le verre de vin que nous lui offrions.
Du fond de sa chambre o�� il avait rallum�� la bougie, tandis que nous rentrions sans rien dire et que mon p��re conduisait la voiture �� la ferme, mon grand-p��re appelait:
"Alors? Est-il rentr��, ce voyageur?"
Les femmes se concert��rent du regard, une seconde:
"Mais oui, il a ��t�� chez sa m��re. Allons, dors. Ne t'inqui��te pas!
--Eh bien, tant mieux. C'est bien ce que je pensais", dit-il.
Et, satisfait, il ��teignit sa lumi��re et se tourna dans son lit pour dormir.
Ce fut la m��me explication que nous donnames aux gens du bourg. Quant �� la m��re du fugitif, il fut d��cid�� qu'on attendrait pour lui ��crire. Et nous gardames pour nous seuls notre inqui��tude qui dura trois grands jours. Je vois encore mon p��re rentrant de la ferme vers onze heures, sa moustache mouill��e par la nuit, discutant avec Millie d'une voix tr��s basse, angoiss��e et col��re...

CHAPITRE VI
On frappe au carreau.
Le quatri��me jour fut un des plus froids de cet hiver-l��. De grand matin, les premiers arriv��s dans la cour se r��chauffaient en glissant autour du puits. Ils attendaient que le po��le f?t allum�� dans l'��cole pour s'y pr��cipiter.
Derri��re le portail, nous ��tions plusieurs �� guetter la venue des gars de la campagne. Ils arrivaient tout ��blouis encore d'avoir travers�� des paysages de givre, d'avoir vu les ��tangs glac��s, les taillis o�� les li��vres d��talent... Il y avait dans leurs blouses un go?t de foin et d'��curie qui alourdissait l'air de la classe, quand ils se pressaient autour du po��le rouge. Et, ce matin-l��, l'un d'eux avait apport�� dans un panier un ��cureuil gel�� qu'il avait d��couvert en route. Il essayait, je me souviens, d'accrocher par ses griffes, au poteau du pr��au, la longue b��te raidie...
Puis la pesante classe d'hiver commen?a...
Un coup brusque au carreau nous fit lever la t��te. Dress�� contre la porte, nous aper??mes le grand Meaulnes secouant avant d'entrer le givre de sa blouse, la t��te haute et comme ��bloui!
Les deux ��l��ves du banc le plus rapproch�� de la porte se pr��cipit��rent pour l'ouvrir: il y eut �� l'entr��e comme un vague conciliabule, que nous n'entend?mes pas, et le fugitif se d��cida enfin �� p��n��trer dans l'��cole.
Cette bouff��e d'air frais venue de la cour d��serte, les brindilles de paille qu'on voyait accroch��es aux habits du grand Meaulnes, et surtout son air de voyageur fatigu��, affam��, mais ��merveill��, tout cela fit passer en nous un ��trange sentiment de plaisir et de curiosit��.
M. Seurel ��tait descendu du petit bureau �� deux marches o�� il ��tait en train de nous faire la dict��e, et Meaulnes marchait vers lui d'un air agressif. Je me rappelle combien je le trouvai beau, �� cet instant, le grand compagnon, malgr�� son air ��puis�� et ses yeux rougis par les nuits pass��es au dehors, sans doute.
Il s'avan?a jusqu'�� la chaire et dit, du ton tr��s assur�� de quelqu'un qui rapporte un renseignement:
"Je suis rentr��, monsieur."
--Je le vois bien, r��pondit M. Seurel, en le consid��rant avec curiosit��... Allez vous asseoir �� votre place".
Le gars se retourna vers nous, le dos un peu courb��, souriant d'un air moqueur, comme font les grands ��l��ves indisciplin��s lorsqu'ils sont punis, et, saisissant d'une main le bout de la table, il se laissa glisser sur son banc.
"Vous allez prendre un livre que je vais vous indiquer, dit le ma?tre-- toutes les t��tes ��taient alors tourn��es vers Meaulnes--pendant que vos camarades finiront la dict��e".
Et la classe reprit comme auparavant. De temps �� autre le grand Meaulnes se tournait de mon c?t��, puis il regardait par les fen��tres, d'o�� l'on apercevait le jardin blanc, cotonneux, immobile, et les champs d��serts, ou parfois descendait un corbeau. Dans la classe, la chaleur ��tait lourde, aupr��s du po��le rougi. Mon camarade, la t��te dans les mains, s'accouda pour lire: �� deux reprises je vis ses paupi��res se fermer et je crus qu'il allait s'endormir.
"Je voudrais aller me coucher, monsieur, dit-il enfin, en levant le bras �� demi. Voici trois nuits que je ne dors pas.
--Allez!" dit M. Seurel, d��sireux surtout d'��viter un incident.
Toutes les t��tes lev��es, toutes les plumes en l'air, �� regret nous le regardames partir, avec sa blouse frip��e dans le dos et ses souliers terreux.
Que la matin��e fut lente �� traverser! Aux approches de midi, nous entend?mes l��-haut, dans la mansarde, le voyageur s'appr��ter pour descendre. Au d��jeuner, je le retrouvai assis devant le feu, pr��s des grands-parents interdits, pendant qu'aux douze coups de l'horloge, les grands ��l��ves et les gamins ��parpill��s dans la cour neigeuse filaient comme des ombres devant la porte de la
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