Le Grand Meaulnes | Page 3

Alain-Fournier
�� sa vue, m'arr��ta sur la premi��re marche, devant la grille.
"O�� est-il pass��? mon Dieu! disait-elle �� mi-voix. Il ��tait avec moi tout �� l'heure. Il a d��j�� fait le tour de la maison. Il s'est peut-��tre sauv��..."
Et, entre chaque phrase, elle frappait au carreau trois petits coups �� peine perceptibles.
Personne ne venait ouvrir �� la visiteuse inconnue. Millie, sans doute, avait re?u le chapeau de La Gare, et sans rien entendre, au fond de la chambre rouge, devant un lit sem�� de vieux rubans et de plumes d��fris��es, elle cousait, d��cousait, rebatissait sa m��diocre coiffure... En effet, lorsque j'eus p��n��tr�� dans la salle �� manger, imm��diatement suivi de la visiteuse, ma m��re apparut tenant �� deux mains sur la t��te des fils de laiton, des rubans et des plumes, qui n'��taient pas encore parfaitement ��quilibr��s... Elle me sourit, de ses yeux bleus fatigu��s d'avoir travaill�� �� la chute du jour, et s'��cria:
"Regarde! Je t'attendais pour te montrer..."
Mais, apercevant cette femme assise dans le grand fauteuil, au fond de la salle, elle s'arr��ta, d��concert��e. Bien vite, elle enleva sa coiffure, et, durant toute la sc��ne qui suivit, elle la tint contre sa poitrine, renvers��e comme un nid dans son bras droit repli��.
La femme �� la capote, qui gardait, entre ses genoux, un parapluie et un sac de cuir, avait commenc�� de s'expliquer, en balan?ant l��g��rement la t��te et en faisant claquer sa langue comme une femme en visite. Elle avait repris tout son aplomb. Elle eut m��me, d��s qu'elle parla de son fils, un air sup��rieur et myst��rieux qui nous intrigua.
Ils ��taient venus tous les deux, en voiture, de La Fert��-d'Angillon, �� quatorze kilom��tres de Sainte-Agathe. Veuve--et fort riche, �� ce qu'elle nous fit comprendre--elle avait perdu le cadet de ses deux enfants, Antoine, qui ��tait mort un soir au retour de l'��cole, pour s'��tre baign�� avec son fr��re dans un ��tang malsain. Elle avait d��cid�� de mettre l'a?n��, Augustin, en pension chez nous pour qu'il p?t suivre le Cours Sup��rieur.
Et aussit?t elle fit l'��loge de ce pensionnaire qu'elle nous amenait. Je ne reconnaissais plus la femme aux cheveux gris, que j'avais vue courb��e devant la porte, une minute auparavant, avec cet air suppliant et hagard de poule qui aurait perdu l'oiseau sauvage de sa couv��e.
Ce qu'elle contait de son fils avec admiration ��tait fort surprenant: il aimait �� lui faire plaisir, et parfois il suivait le bord de la rivi��re, jambes nues, pendant des kilom��tres, pour lui rapporter des oeufs de poules d'eau, de canards sauvages, perdus dans les ajoncs... Il tendait aussi des nasses... L'autre nuit, il avait d��couvert dans le bois une faisane prise au collet...
Moi qui n'osais plus rentrer �� la maison quand j'avais un accroc �� ma blouse, je regardais Millie avec ��tonnement.
Mais ma m��re n'��coutait plus. Elle fit m��me signe �� la dame de se taire; et, d��posant avec pr��caution son "nid" sur la table, elle se leva silencieusement comme pour aller surprendre quelqu'un...
Au-dessus de nous, en effet, dans un r��duit o�� s'entassaient les pi��ces d'artifice noircies du dernier Quatorze Juillet, un pas inconnu, assur��, allait et venait, ��branlant le plafond, traversait les immenses greniers t��n��breux du premier ��tage, et se perdait enfin vers les chambres d'adjoints abandonn��es o�� l'on mettait s��cher le tilleul et m?rir les pommes.
"D��j��, tout �� l'heure, j'avais entendu ce bruit dans les chambres du bas, dit Millie �� mi-voix, et je croyais que c'��tait toi, Fran?ois, qui ��tais rentr��..."
Personne ne r��pondit. Nous ��tions debout tous les trois, le coeur battant, lorsque la porte des greniers qui donnait sur l'escalier de la cuisine s'ouvrit; quelqu'un descendit les marches, traversa la cuisine, et se pr��senta dans l'entr��e obscure de la salle �� manger.
"C'est toi, Augustin?" dit la dame.
C'��tait un grand gar?on de dix-sept ans environ. Je ne vis d'abord de lui, dans la nuit tombante, que son chapeau de feutre paysan coiff�� en arri��re et sa blouse noire sangl��e d'une ceinture comme en portent les ��coliers. Je pus distinguer aussi qu'il souriait...
Il m'aper?ut, et, avant que personne e?t pu lui demander aucune explication:
"Viens-tu dans la cour?" dit-il.
J'h��sitai une seconde. Puis, comme Millie ne me retenait pas, je pris ma casquette et j'allai vers lui. Nous sort?mes par la porte de la cuisine et nous allames au pr��au, que l'obscurit�� envahissait d��j��. A la lueur de la fin du jour, je regardais, en marchant, sa face anguleuse au nez droit, �� la l��vre duvet��e.
"Tiens, dit-il, j'ai trouv�� ?a dans ton grenier. Tu n'y avais donc jamais regard��?"
Il tenait �� la main une petite roue en bois noirci; un cordon de fus��es d��chiquet��es courait tout autour; ?'avait d? ��tre le soleil ou la lune au feu d'artifice du Quatorze Juillet.
"Il y en a deux qui ne sont pas parties: nous allons toujours les allumer", dit-il d'un ton tranquille et de l'air de quelqu'un
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