vit les deux prisonniers sortir de l'h?tel, et, accompagné de leur escorte, dispara?tre au coin de la rue Chiatamone.
--Maintenant, dit-il en se retournant vers le dey, Votre Hautesse est libre de partir quand elle voudra.
--A l'instant même! s'écria Hussein, à l'instant même! Je ne resterai pas un instant de plus dans un pays aussi barbare que le v?tre!
--Bon voyage! dit le ministre.
--Allez au diable! dit Hussein.
Une heure ne s'était pas écoulée que Hussein avait frété un petit batiment; deux heures après il y avait fait conduire ses femmes et ses trésors. Le même soir il s'y rendait à son tour avec sa suite, et à minuit il mettait à la voile, maudissant ce pays d'esclaves où l'on n'était pas libre de couper le cou à son eunuque et de noyer sa femme.
Le lendemain, le ministre fit compara?tre devant lui les deux coupables et leur fit subir un interrogatoire.
Osmin fut convaincu d'avoir dormi quand il aurait d? veiller, et Za?da d'avoir veillé quand elle aurait d? dormir.
Mais comme dans le code napolitain ces deux crimes de lèze-hautesse n'étaient point prévus, ils n'étaient passibles d'aucune punition.
En conséquence, Osmin et Za?da furent, à leur grand étonnement, mis en liberté le lendemain même du jour où le dey avait quitté Naples.
Or, comme tous les deux ne savaient que devenir, n'ayant ni fortune ni état, ils furent forcés de se créer chacun une industrie.
Osmin devint marchand de pastilles du sérail, et Za?da se fit demoiselle de comptoir.
Quant au dey d'Alger, il était sorti de Naples avec l'intention de se rendre en Angleterre, pays où il avait entendu dire qu'on avait au moins la liberté de vendre sa femme, à défaut du droit de la noyer: mais il se trouva indisposé pendant la traversée et fut forcé de relacher à Livourne, où il fit, comme chacun sait, une fort belle mort, si ce n'est cependant qu'il mourut sans avoir pardonné à M. Martin Zir, ce qui aurait eu de grandes conséquences pour un chrétien, mais ce qui est sans importance pour un Turc.
II
Les Chevaux spectres.
J'avais été recommandé à M. Martin Zir comme artiste; j'avais admiré ses galeries de tableaux, j'avais exalté son cabinet de curiosités, et j'avais augmenté sa collection d'autographes. Il en résultait que M. Martin Zir, à mon premier passage, si rapide qu'il e?t été, m'avait pris en grande affection; et la preuve, c'est qu'il s'était, comme on l'a vu ailleurs, défait en ma faveur de son cuisinier Cama, dont j'ai raconté l'histoire (voir le Speronare), et qui n'avait d'autre défaut que d'être appassionnato de Roland et de ne pouvoir supporter la mer, ce qui était cause que sur terre il faisait fort peu de cuisine, et que sur mer il n'en faisait pas du tout.
Ce fut donc avec grand plaisir que M. Martin Zir nous vit, après trois mois d'absence, pendant lesquels le bruit de notre mort était arrivé jusqu'à lui, descendre à la porte de son h?tel.
Comme sa galerie s'était augmentée de quelques tableaux, comme son cabinet s'était enrichi de quelques curiosités, comme sa collection d'autographes s'était recrutée de quelques signatures, il me fallut avant toute chose parcourir la galerie, visiter le cabinet, feuilleter les autographes.
Après quoi je le priai de me donner un appartement.
Cependant il ne s'agissait pas de perdre mon temps à me reposer. J'étais à Naples, c'est vrai; mais j'y étais sous un nom de contrebande; et comme d'un jour à l'autre le gouvernement napolitain pouvait découvrir mon incognito et me prier d'aller voir à Rome si son ministre y était toujours, il fallait voir Naples le plus t?t possible.
Or, Naples, à part ses environs, se compose de trois rues où l'on va toujours, et de cinq cents rues où l'on ne va jamais.
Ces trois rues se nomment la rue de Chiaja, la rue de Tolède et la rue de Forcella.
Les cinq cents autres rues n'ont pas de nom. C'est l'oeuvre de Dédale; c'est le labyrinthe de Crète, moins le Minautore, plus les lazzaroni.
Il y a trois manières de visiter Naples:
A pied, en corricolo, en calèche.
A pied, on passe partout.
En corricolo, l'on passe presque partout.
En calèche, l'on ne passe que dans les rues de Chiaja, de Tolède et de Forcella.
Je ne me souciais pas d'aller à pied. A pied, l'on voit trop de choses.
Je ne me souciais pas d'aller en calèche. En calèche, on n'en voit pas assez.
Restait le corricolo, terme moyen, juste milieu, anneau intermédiaire qui réunissait les deux extrêmes.
Je m'arrêtai donc au corricolo.
Mon choix fait, j'appelai M. Martin Zir. M. Martin Zir monta aussit?t.
--Mon cher h?te, lui dis-je, je viens de décider dans ma sagesse que je visiterai Naples en corricolo.
--A merveille, dit M. Martin. Le corricolo est une voiture nationale qui remonte à la plus haute antiquité. C'est la biga des Romains, et je vois avec plaisir que vous appréciez le corricolo.
--Au plus haut degré, mon
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