Lart russe | Page 8

Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc
notamment sur cette route si fréquentée par les caravanes partant du golfe Persique pour aboutir à Antioche, et qui nous ont laissé des édifices religieux et civils si remarquables dans la Syrie centrale, possédaient une ornementation qui ne rappelle nullement l'ornementation grecque proprement dite, mais se rapproche des arts de l'Orient iranien, dont il faut aller chercher la source dans l'Inde supérieure.
Cette ornementation, composée d'entrelacs et d'une flore de conventions, sèche, découpée, métallique et qui fut adoptée à Byzance, où elle étouffa bient?t les derniers vestiges de l'art romain, appara?t aussi dans les monuments les plus anciens des Slaves et même dans les objets qu'en France on attribue aux Mérovingiens, c'est-à-dire aux Francs venus des bords de la Baltique.
Ainsi, la Russie allait prendre ses arts, au moins en ce qui touche l'ornementation, à deux rameaux fort éloignés l'un de l'autre par la distance et le temps, mais sortis d'un tronc commun.
Il n'existe, parmi les diverses races dont se compose l'humanité, qu'un nombre restreint de principes d'art, soit au point de vue de la structure, soit au point de vue de l'ornementation. Quant à la structure, il n'est que deux méthodes principales.
La première, et la plus ancienne très-probablement, consiste à employer le bois; la seconde comprend tous les systèmes d'agglutinage, méthode que l'on désigne sous le nom général de ma?onnerie: brique crue ou cuite, pierre, moellon réunis par de l'argile ou un ciment.
La structure de bois comprend deux systèmes: l'un qui consiste à empiler des troncs d'arbres les uns sur les autres comme de longues assises, en les enchevêtrant à leurs extrémités et à former ainsi des murailles solides. L'autre, qui est proprement ce qu'on appelle la charpente, c'est-à-dire l'art d'assembler les bois de manière à profiter des qualités particulières à ces matériaux en les utilisant en raison même de ces qualités.
Le système de structure par agglutinage para?t avoir appartenu primitivement aux races jaunes; tandis que l'emploi du bois dans les constructions semble être l'attribut de la race aryenne.
Et ceci serait la conséquence, soit du génie propre à ces deux races, soit du milieu dans lequel primitivement elles se sont développées.
Les Aryas descendaient des hauts plateaux boisés du Thibet et de l'Himalaya.
Les Jaunes occupaient les vastes plaines de l'Asie, arrosées par de larges fleuves et ou les matériaux maniables, argile et roseaux, se trouvent en abondance.
Si un rameau de race aryenne s'établit dans les plaines du Tigre et de l'Euphrate, par exemple, les deux éléments peuvent se mélanger, mais on retrouve toujours la trace des influences originaires[15].
[Note 15: Nous avons développé ces observations dans l'Histoire de l'habitation humaine.]
Un de ces rameaux occupe-t-il un territoire où le bois de construction, aussi bien que le limon, font défaut, comme est le territoire hellénique, mais où abondent les matériaux calcaires, la pierre de taille,--tout en se servant de ces matériaux, on distingue, dans leur emploi, les formes imposées par le système de structure de charpente. Le Grec dorien pousse si loin son aversion pour les éléments empruntés à d'autres races que les races aryenne et sémitique, qu'il n'emploie jamais le mortier dans ses constructions comme moyen d'agglutinage, bien qu'il le connaisse parfaitement, puisqu'il fait des enduits légers et d'une extrême finesse peur appliquer la peinture. En un mot, il batit toujours en pierre sèche. Et même le romain, lui, qui emploie les deux modes: il ne les mêle point, et s'il batit en pierre d'appareil, jamais il ne réunit par un ciment ces matériaux taillés; il les pose jointifs.
Sur quelque point du globe que ce soit, les constructions dérivent toujours de ces principes fondamentaux; soit de l'un ou de l'autre, soit des deux ensemble. Mais les origines sont d'autant plus apparentes qu'on remonte plus haut dans l'histoire des peuples. Cependant, jamais elles ne s'effacent entièrement.
Quant à l'ornementation, deux principes se trouvent également en présence chez les humains: l'ornementation géométrique et celle qui dérive d'une imitation des produits de la nature, faune et flore.
Il n'est peuplade si barbare qui ne possède certains éléments d'art, et c'est une illusion de croire que l'art se développe en raison du degré de l'état policé qu'aujourd'hui on appelle civilisation.
Un peuple de moeurs très barbares peut posséder, sinon un art très parfait, des éléments d'art susceptibles d'un grand développement. Et nous en avons la preuve tous les jours. Ces misérables Thibétains, qui vivent à l'état quasi sauvage, à notre point de vue européen, fa?onnent, cependant ces tissus merveilleux dont, à grand'peine, avec tous nos moyens de fabrication perfectionnés, nous imitons la composition et l'harmonie. Les pauvres chaudronniers hindous font avec des instruments élémentaires ces vases de cuivre repoussé et gravé dont le galbe et les dessins sont ravissants, et, chose étrange, les éléments de perfectionnement, qu'à notre point de vue nous apportons à ces artistes et artisans, ne font qu'altérer et détruire bient?t même leurs facultés créatrices, soit dans la
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