Lamour au pays bleu | Page 6

Hector France
du Thaleb El-Hadj-Ali-bou-Nahr, la dramatique histoire de Monseigneur l'Heureux.
Ce Thaleb, Ali-bou-Nahr, d��cor�� du titre d'El Hadj comme tous les musulmans ayant fait le p��lerinage de la Mecque, il est peu de spahis fran?ais qui ne l'aient connu. Je parle de ceux qui ont s��journ�� �� Constantine vers 1860, alors que nous habitions la caserne Sidi-Nemdil, au centre du quartier arabe, en face d'une petite mosqu��e pittoresque depuis longtemps tomb��e sous la pioche des niveleurs de rues.
Le thaleb avait ouvert boutique �� quelques pas de notre porte; l��, il louait sa plume et son style aux amants illettr��s, calligraphiait d'une main magistrale des versets du Koran, posait des ventouses et vendait des amulettes. C'est dire qu'il ��tait �� la fois ��crivain public, barbier, chirurgien et quelque peu sorcier.
Homme juste et jouissant d'une grande r��putation de sagesse, philosophe et lettr��, il avait, de la Mecque, voyag�� dans l'Europe. Citateur enthousiaste du Koran, qu'il interpr��tait �� sa fa?on comme les Puritains interpr��tent la Bible, il observait ostensiblement le Ramadan et ne buvait du vin que la nuit.
--Les lois du Proph��te, disait-il, sont faites pour le vulgaire imb��cile. Pour nous, les sages, notre loi, c'est notre conscience. Mais il faut sauvegarder les apparences, �� cause des ignorants. Si le Koran autorisait le vin, toute la canaille se so?lerait.
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J'ai dit qu'il vendait des amulettes.
Cette branche d'affaires ��tait la plus lucrative. C'est �� lui qu'on s'adressait de pr��f��rence quand on avait, au lever de la lune, rencontr�� un gros crapaud embusqu�� au bord du chemin, ou un petit serpent �� demi cach�� sous l'herbe, qui vous avait regard�� avec des yeux jaunes.
Il n'est pas de bonne-femme de Philippe-ville �� Tuggurt, ni de patre du Tell, ni de chamelier du Souf, ni d'anier de Constantine, qui ne sache que les djenouns[1] prennent de pr��f��rence ces formes pour lancer plus ais��ment leur fluide sur le passant sans d��fiance. Alors, malheur �� celui-ci, s'il ne se hate de courir chez le marabout le plus proche ou, �� son d��faut, chez son voisin le tebib, acheter un talisman, unique rem��de contre l'esprit du mal.
[Note 1: D��mons de nuit.]
Sur un petit carr�� de papier, de toile ou de parchemin de la grandeur et de la forme de nos v��n��r��s scapulaires, est trac��e la formule magique.
On se l'attache d��votement au cou, et pour peu qu'on ait la foi, la gu��rison est certaine.
Il y en a pour tous les maux et tous les mal��fices. Ils pr��servent de la gale ou de la peste, de la mort subite ou des ophtalmies, des femmes malpropres ou du cocuage, des balles ou de la vermine. Tout d��pend du prix qu'on y met.
--Quoi! disais-je, toi qu'on appelle le savant et le sage, n'as-tu pas honte de sp��culer sur l'imb��cillit�� publique?
--O mon fils! tu parles bien comme les infid��les, qui jettent de grands mots pour couvrir le vide des pens��es. Est-ce moi qui ai cr���� l'imb��cillit�� publique? Non; elle existe, et, comme toute infirmit�� humaine, elle doit profiter au savant et au sage. Est-ce le m��decin qui cr��e les fi��vres et les ophtalmies? Non, il en vit. Il vit des poudres qui tuent et des eaux qui rendent borgnes. Moi, je vis de mes amulettes, qui, si elles ne gu��rissent pas de l'imb��cillit��, gu��rissent du mal que cause l'imb��cillit��. Nous sommes tous plus ou moins charlatans, mon fils.
Le m��decin est un charlatan de science, le magistrat un charlatan de morale, le soldat un charlatan de bravoure, le pr��tre un charlatan de vertu. Chacun vit de son ��tat: permets que je vive du mien. Le soleil luit pour tous; mais tant que la foule restera stupide et ignorante, elle sera la proie des habiles.
* * * * *
Comme tout vrai musulman, il enveloppait les chr��tiens dans un profond m��pris, non parce qu'ils ��taient chr��tiens, mais parce qu'il trouvait leur religion pu��rile, ��triqu��e et ridicule... et s'il daigna m'honorer de son estime, c'est que je d��clarai un jour ��tre fataliste et priser le Koran fort au-dessus de l'��vangile, �� cause des joies de son paradis.
--Oui, me disait-il, il y aura pour les justes des beaut��s ��ternellement vierges, des sources ��ternellement pures, des ombrages ��ternellement frais; cela ne vaut-il pas mieux que chanter ��ternellement des hymnes. Le fils d'Abdallah ��tait plus pratique que le fils de Meryem. Mais hymnes ou houris, tout cela est bon pour la foule mis��rable.
Tu es fataliste, dis-tu? Mais le fort peut tracer sa voie �� travers la fatalit��.
Et il me cita ces paroles du Livre:
?A ceux qui feront le bien, le bien sera un surplus. Ni la noirceur ni la honte ne terniront l'��clat de leurs visages. A ceux qui feront le mal, la r��tribution sera pareille au mal, l'ignominie les couvrira et leurs visages seront comme un lambeau de nuit.?
Quelquefois le vulgaire myope, qui ne voit que la surface des choses,
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