parent de M. de Solis?
--Je suis son cousin!
--Est-ce qu'il pensait même à lui, en allant au Tonkin faire des observations sur le climat de ce diable de pays?
--Non.
--Est-ce qu'il se piquait d'être un décadent?
--Non. Mais vous me parlez d'une exception. C'est une exception, mon cousin, un héros. Oui, ma parole! Elles confirment les règles, les exceptions!
--Eh! cher monsieur, l'ambition de tout homme qui n'est pas un imbécile, c'est d'être une exception!... Ah! si j'étais jeune et si j'étais Fran?ais!...
--Eh bien?
--Eh bien!... Rien!... Les affaires de votre pays ne me regardent pas. Allons voir les petits chevaux!... Passez!... Passez donc, cher monsieur!
--Non pas, je vous prie. Après vous!
--Après vous!
--Eh bien, dit Bernière en prenant le bras de l'Américain, mon cher monsieur Montgomery, passons ensemble!
II
--Faites remettre ma carte; si M. Norton est chez lui, il me recevra!
Le valet à qui s'adressait cet ordre, donné d'un ton ferme où, sous une politesse douce, se faisait sentir l'habitude du commandement, regarda l'homme qui lui parlait. Un jeune homme, ou plut?t un homme jeune, brun, mince, la barbe entière, taillée en pointe, la redingote serrée à la taille: quelque officier en tenue bourgeoise et sans décoration à la boutonnière.
Les valets, dans la villa normande de M. Richard Norton, habitués à une marée de solliciteurs arrivant là, même à Trouville, au seuil de la maison de l'Américain avec une vitesse et un fracas de mascaret, ne voyaient que rarement dans l'antichambre des figures fran?aises, et dans la réponse que fit au jeune homme le domestique après avoir déposé sur un plateau d'argent la carte donnée, il y avait une nuance toute particulière de respect.
--Si monsieur le marquis veut se donner la peine d'attendre!
Et le valet, qui venait de jeter un leste coup d'oeil sur la carte et d'y lire un nom: Marquis de Solis, ouvrait cérémonieusement la porte d'un petit salon du rez-de-chaussée donnant sur le vestibule et y introduisait le marquis.
M. de Solis s'assit, et très étonné de trouver un tel cérémonial dans cette fa?on de chalet luxueux, regarda autour de lui les tableaux accrochés dans ce petit salon meublé comme un Trianon, blanc et or. Les ma?tres illustres y étaient représentés par quelque toile, une aquarelle ou un morceau de choix. Mais ce n'était évidemment là que de petits échantillons de la collection de Richard Norton, dont la galerie, à New-York comme à Paris, était célèbre.
Le marquis entendait en même temps le valet appeler quelqu'un, dans un cornet acoustique, du bas de l'escalier, pour savoir si M. Norton, dont le cabinet de travail se trouvait évidemment au premier ou au second étage, sur la mer, était visible.
M. de Solis avait, un moment, hésité à se présenter chez Norton, à remuer tout à coup un passé qui lui était cher. Il l'aimait, ce Norton, pour l'avoir connu là-bas, au Nouveau Monde, où M. de Solis était allé étudier les vignes américaines, voulant essayer de défendre ce qui pouvait être sauvé encore de la fortune de la marquise, sa mère. Libre, célibataire, voyageur par go?t et, depuis quelques années, par une sorte de besoin physique et moral, comme s'il avait eu à secouer dans la fièvre des déplacements, quelque obsession lassante, M. de Solis avait trouvé peu d'hommes qui lui fussent plus sympathiques et qui, pour tout dire, fussent, comme l'Américain, des hommes.
Et, par une ironique destinée, dans cet homme respecté, dans cet ami dont le marquis emportait le souvenir à travers la vie, le hasard avait voulu que Solis d?t rencontrer l'être insolemment heureux, né précisément pour lui prendre, sans le savoir, pour lui arracher la femme aimée. Tout un roman inachevé, volontairement inachevé, dans le déchirement du sacrifice, dans un monde de rêves finis, chassés, se dressait là, tout à coup, pour Solis, lorsque le docteur lui avait annoncé la présence, à Trouville, de Richard Norton et de celle qui s'appelait mistress Norton.
Mme Norton! Elle portait un autre nom, lorsqu'il l'avait rencontrée, il y a quatre années déjà, à New-York, chez M. Harley, son père, et lorsque, dans les causeries de jeune homme à jeune fille, dans les confidences irréfléchies, plus intimes chaque jour, il s'était laissé aller à avouer presque à cette Sylvia--Sylvia! l'écho de ce nom était ce qui lui restait de ce passé!--tout un amour grandissant, le seul amour vrai qu'il e?t éprouvé de sa vie. Et elle-même, cette Sylvia, ne semblait-elle pas l'aimer? Ne le lui disait-elle point, dans la douceur du regard, dans la pression plus lente du shake-hands, dans les paroles mêmes tombées de cette bouche d'enfant rieuse et pourtant grave aussi? Comme il l'avait aimée, dans sa fierté, dans ce calme un peu hautain qu'elle avait, dans ces yeux, clairs comme une vague traversée du soleil, qu'elle fixait sur lui comme pour lire en lui et qui, sous les sourcils, d'un blond chaud, les cheveux fauves, le
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