La vraye suitte du Cid | Page 9

Nicolas-Marc Desfontaines
permettent pas ces viles actions.
CHERIFFE.
Cet ingrat a pourtant trahy mon esperance.
L'INFANTE.
Ouy, mais estant conce��e avec peu d'apparence?Vous mesme vous avez tromp�� vostre dessein,?Et le traistre, Madame, est dedans vostre sein?Ce fier tyran des coeurs dont vous portez les chaisnes?Est celuy qui se plaist �� prolonger vos peines,?Resistez aux efforts de ce superbe enfant,?Qui par vostre foiblesse est de vous triomphant?En cette occasion montrez plus de courage,?Mesprisez un Amant alors qu'il est volage?Estimez ses devoirs quand il vous faict la Cour?Et s'il manque de foy, manquez aussi d'amour:?Vous cherissez Rodrigue, il adore Chymene,?Et cette affection rend vostre attente vaine,?Depuis un trop long-temps il aime cet object?Pour esperer jamais qu'il change de projet.
CHERIFFE.
Mais il me l'a promis.
L'INFANTE.
C'est ce qu'il desadvo��e.
CHERIFFE.
Qu'il nie aussi l'ingrat qu'il tient de moy Cordo��e?Qu'il desappreuve encor les effets de sa main.
L'INFANTE.
Madame, encore un coup vous esperez en vain.?Son coeur est engag��.
CHERIFFE.
Il faut donc que je meure.
DOM SANCHE.
Vostre condition peut bien estre meilleure?Madame, & si le Cid manque pour vous d'amour,?Assez d'autres Seigneurs qui sont en cette Cour,?Se croiront bien-heureux de perdre leur franchise,?Pour acquerir un bien que c��t ingrat mesprise.
CHERIFFE.
Mon malheur est de ceux qu'il ne faut point flatter.?Dom Sanche, en c��t estat que puis-je meriter,?Si ceux que j'ay servis avec tant d'asseurance?Ont peine seulement de souffrir ma presence?Sans grace, sans support, sans merite, & sans bien:?Je suis sans esperance, & je ne veux plus rien?Que l'agreable coup, qui finira ma vie.
LE ROY.
Perdez belle Cheriffe une si lasche envie,?Vous devez esperer un meilleur traittement,?Remeine-la Dom Sanche �� son appartement,?Et rends luy les devoirs que sa beaut�� merite.
DOM SANCHE.
Madame, s'il vous plaist, agreez ma conduitte,?Souffrez que j'obeisse aux volontez du Roy,?Et que je satisface �� ce que je vous doy.
[Ils sortent.]
SCENE CINQUIESME.
LE ROY, DOM DIEGUE, L'INFANTE.
LE ROY.
Dom Diegue enfin le Cid a-t'il l'ame contente,?S?ait-il que j'ay dessein de luy donner l'Infante,?Consent-il ais��ment �� ce nouveau projet.
DOM DIEGUE.
Vous estes son Roy, Sire, il est vostre sujet,?Et par cette raison il ne peut sans offence,?S'opposer au devoir de son obe?ssance:?J'ay sond�� toutesfois son esprit sur ce point?Son inclination ne s'en esloigne point,?Et je croy seulement qu'une modeste crainte?Arreste ses desirs & le tient en contrainte.
LE ROY.
C'est, que Chymene encore a sur luy tout pouvoir.
DOM DIEGUE.
Il l'oublira, Seigneur, plustost que son devoir?Le comte vous en est une preuve certaine?Des ce temps-l�� Rodrigue idolatroit Chymene,?On le veid toutesfois luy-mesme se trahir,?Et s'il s?ait bien aimer il s?ait mieux obeir.
LE ROY.
Je n'ay jamais dout�� de son obe?ssance?Et sa seule vertu m'en donne l'asseurance.?Vous, ma soeur, acceptez son amour & ses voeux?Et pour toute raison s?achez que je le veux,?Il n'a receu du Ciel ny sceptre ny couronne?Et sa grandeur consiste en sa seule personne:?Mais c'est l�� qu'il a faict ses plus nobles efforts,?C'est l�� qu'il a vers�� ses plus riches thresors:?Son coeur est l'Element o�� la valeur reside,?Sa belle ame est le tr?ne o�� la vertu preside?Et les perfections qui le font estimer?Sont les solides biens que vous devez aimer.
L'INFANTE.
Un tel commandement, Monsieur, ne m'est pas rude,?Je prends facilement cette douce habitude,?Ce que vous estimez je ne le puis ha?r?Vous devez commander & je dois obeir.
LE ROY.
Que Chymene �� mes voeux n'est-elle aussi facile,?Je ne bruslerois pas d'une flame inutile?Je serois satisfaict, & mes desirs contens?Ne m'obligeroient pas de languir si long-temps:?Mais c'est trop endurer une si dure peine,?Il faut resolument que j'espouse Chymene,?Je l'absous de l'amour qu'au Cid elle a promis,?Aux Princes comme moy ce qui plaist est permis.?L'affection des Rois n'est jamais temeraire,?Et le respect sied bien seulement au vulguaire;?Envoyez-la querir, & lui faictes s?avoir?Qu'en vostre appartement je desire la voir,?Pour lui communiquer un dessein d'importance,?Et qui pour son effect exige sa presence?Je me lasse �� la fin de vivre en cet ennuy,?Je veux que cet hymen s'accomplisse aujourd'huy.
SCENE SIXIESME.
CHIMENE seule.
Amour sors en fin de mon ame,?Porte ailleurs ton triste flambeau,?Puisque les cendres du tombeau?Doivent tantost couvrir & mon corps & ma flame,
Mes regrets vont m'oster du jour,?Cherche un plus aimable sejour?Abandonne mon coeur, ma Rivale t'appelle,?Va regner desormais dans ce superbe sein,?Puisque pour l'adorer, Rodrigue est infidele,?Je vay par mon trespas approuver ton dessein,
Ne m'entretien plus de sa gloire,?Ny du souvenir de ses faicts?Que tant de merveilleux effects?Sortent avecque toy de ma triste memoire.
Ne laisse rien dans mes esprits?Que la vengeance & le mespris?Qui le doivent punir d'une amour criminelle,?Rens �� mes tristes yeux leur premiere rigueur:?Il est victorieux: mais il est infidele?Et par cette raison il n'est plus mon vainqueur
Mais que me servira ma hayne?Que fera mon coeur irrit��??Malgr�� son infidelit��?Il est tousjours Rodrigue, & moy tousjours Chimene:
Non je ne vis plus sous sa loy,?L'ingrat a viol�� sa foy,?Aymant une perfide, il est traistre comme elle?Chymene reprens donc ta premiere rigueur,?Il est victorieux, mais il est infidele,?Et par cette raison il n'est pas ton vainqueur.
Qu'Arragon tremble & le revere,?Qu'il vainque mille nations,?Toutes ces belles actions?N'effaceront jamais le meurtre de mon
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