le bon-heur?D'avoir finy mes jours dedans le lict d'honneur,?Chymene en cet estat m'eust trouvé plein de charmes?Et mon sort de ses yeux auroit tiré des larmes?Au lieu que retournant icy victorieux,?Quand chacun me cherit je luy suis odieux:?Mais tant qu'il vous plaira faites de l'inhumaine,?Je ne vous verray plus rigoureuse Chymene,?[Il se promene en levant.]?Ouy, vivez en repos & croyez desormais?Que mon funeste abord ne le rompra jamais.
SCENE DEUXIESME.
CHERIFFE, LE CID.
CHERIFFE.
Que le sort m'est cruel! & que je suis confuse!?Quoy je ne veux qu'un coeur & l'on me le refuse?Apres ce que j'ay faict on me rebutte ainsi,?Et j'adore un ingrat! mais bons Dieux le voicy?Taschons encore un coup de fleschir son courage.
LE CID.
Ouy Chymene, je cede aux coups de cet orage,?Contre cette rigueur il n'est point de vertu.
CHERIFFE.
Hé bien perfide, en fin à quoy te resous-tu?
LE CID.
A mourir, puis qu'apres un mespris si funeste?Le trespas seulement est l'espoir qui me reste.
CHERIFFE.
Quoy, le traict de la mort a pour toy des appas,?Et celuy de l'amour ne te touchera pas.?Ah! grand Cid.
LE CID.
Laissez-moy rigoureuse Chymene,?Je vay finir ma vie achevez vostre hayne,?Ce nom ne sied pas bien avecques vos mespris.
CHERIFFE.
Je n'en usay jamais ingrat tu t'es mespris?Une autre a fait le mal dont je porte le blame.
LE CID la regardant.
Ah! bons Dieux c'est Cheriffe, Excusez-moy Madame,?Je n'ay pas eu dessein de me plaindre de vous.
CHERIFFE.
Ce reproche grand Cid me sembleroit bien doux,?Et plustost que tes jours je finirois ta peine,?Si tu traitois Cheriffe aussi bien que Chymene.
LE CID.
Chymene! ouy je l'adore; & l'ingrate est sans foy.
CHERIFFE.
Pourquoy doncq l'aymes-tu?
LE CID.
Madame, laissez-moy.
CHERIFFE.
Que je te laisse?
LE CID.
O Dieux quelle est mon infortune!?Dois-je apres une ingrate ouyr une importune.
CHERIFFE.
Importune? cruel, si j'avois ce malheur?Qu'il falloit que je fusse en butte à ta rigueur,?Que ne me laissois-tu faire mes funerailles?Dans le funeste enclos de nos tristes murailles:?Tu ne souffrirois pas un object odieux,?Et ta main m'eust esté plus douce que tes yeux,?Tu serois plus heureux, je serois plus contente,?Et j'aurois le bon-heur de mourir innocente,?Si parmy le debris d'un Empire abbatu?J'eusse laissé ma vie & non pas ma vertu.?Mais barbare, il falloit qu'elle fust estouffee,?Et que Cheriffe en fin te servist de trophee?Il falloit que je fusse en ce funeste estat?Qui trahit ma naissance & perd tout son esclat.?Hé! bien puisque tu veux que je sois malheureuse,?Grand Cid fleschis un peu cette ame rigoureuse?J'estoufferay mes voeux, puis qu'ils sont superflus?Et j'oubliray des biens que je n'espere plus,?Je voy bien desormais que mon attente est vaine,?Suy tes affections, adore ta Chymene:?Et mesme si tu veux prefere sa rigueur?Aux tendres sentimens qui partent de mon coeur:?Mais quoy que le destin insolemment me brave,?Rodrigue souffre au moins que je sois ton esclave?Pour satisfaction des maux que j'ay souffers?Je ne demande rien que l'honneur de mes fers?Ce bon-heur que je veux n'oste rien à ta gloire,?Paye avecque ce bien le prix de ta victoire;?A ton affection adjoute la pitié?Que Chymene ayt l'amour, & moy ton amitié.
LE CID.
En l'estat où je suis mon ame est si confuse?Que ma mauvaise humeur est bien digne d'excuse,?Laissez-moy doncq, Madame, & cessez vos discours?En vain d'un malheureux on attend du secours?Vous cognoissez combien mon malheur est extreme?Et vous voulez un bien dont je manque moy-mesme?De tant de passions que l'on m'a veu souffrir?Il ne me reste plus que celle de mourir,?Adieu.
SCENE TROISIEME.
CHERIFFE seule.
Va desloyal je cognois ton envie,?Cheriffe seule helas te faict ha?r la vie,?Et si tost que tes yeux ont quitté cet object?Tu quitte quant & quant ce funeste project:?O Ciel quel est ton sort Princesse infortunee:?Quel malheur te poursuit, sous quel astre es-tu nee,?Que tes justes desirs & tes pretentions?Succedent au rebours de tes intentions,?Cid mais indigne, Cid qui me rens malheureuse,?Desseins precipitez, fortune rigouruse,?Pernicieux amour, importunes fureurs?Ne finirez vous point ma vie ou mes erreurs.?Ouy, je sens que desja ma force est affoiblie?Et de ce triste corps mon ame se delie,?Les ombres de la mort errent devant mes yeux:?Rodrigue viens au moins recevoir mes Adieux.
SCENE QUATRIESME.
LE ROY, L'INFANTE, DOM DIEGUE, D. SANCHE, CHERIFFE.
[Cheriffe continüe & prend le Roy pour Rodrigue.]
Ah! grand Cid qu'apropos la pitié te rameine?Pour voir icy finir & ma vie & ma peine,?Je vay mourir contente, & je ne me plains pas?Puis que tes yeux au moins honnorent mon trespas.
LE ROY.
Que dit-elle bons Dieux! quelle melancolie?Tient dedans cette erreur son ame ensevelie??D'où luy vient ce transport, & ce desreiglement?
CHERIFFE.
Ne t'en va pas si tost, arreste un seul moment,?Souffre qu'entre tes bras je puisse rendre l'ame.
DOM SANCHE.
Reprenez vos esprits, ouvrez les yeux, Madame,?Ce n'est pas-là le Cid, & vous parlez au Roy.
CHERIFFE.
Non ce n'est pas le Cid, Ah! Sire, excusez-moy?En l'estat où m'a mis la malice d'un traistre,?A peine je me puis moy-mesme recognoistre.
LE ROY.
De qui vous plaignez-vous? & quelle trahison?A si soudainement troublé vostre raison?
CHERIFFE.
Grand Monarque, Rodrigue a commis cette offence.
LE ROY.
Tout beau belle Cheriffe, espargnez l'innocence?Ses rares qualitez
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