La vraye suitte du Cid | Page 6

Nicolas-Marc Desfontaines
prudent il changea de dessein;?Enfin, apres avoir consulté sa vaillance?Son coeur en con?eut un, digne de sa naissance,?Par un de ses Herauts il m'envoye un cartel?Mon courage aussi-tost consent à ce duel?Et d'un mot de ma main je luy marque la place?Qui devoit achever ma vie ou son audace,?Il s'y rend, j'y parois, nous en venons aux mains?Le Ciel en voit partir mille coups inhumains,?Et je croy que son front pallit en cet orage?Mais enfin le bon-heur me donna l'advantage.
SPHERANTE.
La modestie icy trahit vostre valeur?La force me vainquit & non pas le mal-heur?Vantez vous librement d'un affront que j'aduoüe,
LE CID.
Sire ce fut ce coup qui fit tomber Cordoüe,?Je veis par cet effort son orgueil abatu?[Montrant Cheriffe.]?Ce Guerrier par sa cheute opprima sa vertu,?Et cet objet divin par son intelligence?Me la fit emporter presque sans resistance,
CELIMANT.
Oüy grand Prince il est vray, par un noir attentat?Ce monstre de nature a trahy mon Estat,?Vous possedez mes biens mon Sceptre & ma personne,?Mais regardez un peu celle qui vous les donne,?Voyez de quelle main vous prenez ces presens?Et quelle main m'a mis en des fers si pesans,?[Montrant Cheriffe.]?Grand Roy vous cognoistrez aux traits de ce visage?Que c'est ma propre soeur qui m'a faict cet outrage:?Ma soeur! il ne se peut, c'est plutost un demon?Qui pour mieux me trahir s'est servy de ce nom.
CHERIFFE.
Cruel ne me fay pas un reproche si lasche?Ce nom est de mes jours la plus honteuse tache,?Et je trouve mon sort rigoureux en ce point?Que m'ostant de tes fers, il ne me l'oste point?Mais toy qui faits icy le vaillant & le brave:?M'as-tu traittée en soeur! non: j'estois ton esclave,?Au moins n'ay-je pas eu de meilleur traictement,?Et cette qualité m'a manqué seulement.?Sire ne croyez pas qu'une jeune imprudence?Ayt porté mon esprit à cette intelligence,?Ou que ce que j'ay fait soit une trahison?Vous livrant ce cruel je rompois ma prison?Je me tirois des fers où sa rage excessive?Tenoit honteusement ma liberté captive?Où malgré tout respect sa lasche intention?Me destinoit l'object de mon aversion?Et je voyois desja le moment de ma perte?Lors que l'occasion a mes voeux s'est offerte,?Qui repoussant les traicts & leur injuste effort?[Montrant le prince de Tolede.]?A fait en mesme temps leur naufrage & mon port?Ouy, Sire, quand je veis que ce superbe Prince?Estoit pour m'enlever sorty de sa province?Et qu'avec cet amas d'armes & de guerriers?Il songeoit à ce rapt plustost qu'à des lauriers?Je creus que je pouvois mesme avecque justice?A cette violence opposer l'artifice,?Trahir ses partizans, & qu'il m'estoit permis?De chercher un azile entre leurs ennemis?Je formai ce dessein mais ce coup d'importance?M'arresta quelque temps, & me tint en balance,?Jusqu'à ce que ce rare & glorieux objet?M'eust obligée en fin d'achever ce projet.
CHYMENE.
Il n'en faut plus douter, le perfide l'adore,?Quoy je voy ma rivale, & je respire encore??Puis-je bien sans mourir endurer cét affront?
LE ROY.
Quand l'esprit est ardent & le courage prompt?Un dessein n'a jamais de malheureuse suitte,?Mais l'affaire qui traine est à demy destruite.
CHERIFFE.
Sire, pour negliger cette execution,?J'avois trop de courage & trop de passion,?Mon ame en peu de temps, cessa d'estre incertaine?Et l'amour acheva le complot de la hayne:?Ce Cid dont le renom est par tout si fameux?D'ennemy qu'il estoit fut l'object de mes voeux,?Sa vertu me vainquit, mon coeur fut sa conqueste,?Et ma felicité nacquit par ma deffaite:?Car cedant aux efforts d'un coup si glorieux?J'acquis en me perdant un butin precieux?Cét honneur des Guerriers, ce Cid incomparable.
L'INFANTE.
He bien qu'espere-tu Princesse miserable,?Peus-tu douter encor qu'il ne soit engagé.
LE CID.
Madame je vous suis doublement obligé?Puis qu'à l'heureux effect de vostre intelligence?Vostre ame en ma faveur, joint tant de bienveillance.?Et rien si puissamment ne me s?auroit ravir?Comme l'occasion de vous pouvoir servir?Mais que puis-je pour vous, commandez moy Madame.
CHYMENE.
Qu'a-t-elle à desirer, ingrat, elle a ton ame.
CHERIFFE.
Ah! grand Cid tu peux tout & je veux tout aussi.
LE CID.
Cheriffe le Roy seul est souverain icy,?Luy seul peut tout donner.
LE ROY.
Et tu peux tout promettre?Ton merite est au point qu'on luy doit tout permettre?Dispose librement de mon authorité.?Et croy que je fais moins que tu n'as merité.
CHERIFFE.
Je ne souhaitte pas cette faveur extréme?Tous les biens que je veux grand Cid sont en toy-mesme,?C'est à ce seul objet que tendent mes desirs,?Et c'est le seul espoir qui fait tous mes plaisirs,
LE CID.
Je ne s?ay pas, Madame, avec quelle apparence?Vostre esprit a conceu cette belle esperance:?Mais Rodrigue jamais ne vous en a parlé.
CHYMENE.
Ah! Dieux qu'il est adroit!
L'INFANTE.
Qu'il est dissimulé.
CHERIFFE.
Quoy, Monsieur, avez-vous oublié vos promesses??Est-ce là cét amour? sont-ce là les caresses?Qu'apres mon action je devois recevoir?
LE CID.
Et qui vous a donné cét inutile espoir?
CHERIFFE.
Vous.
LE CID.
Moy? j'en doute.
CHERIFFE.
O Dieux, cognois-tu cette lettre.
LE CID.
Ouy.
CHERIFFE.
Tien: ly donc ingrat; elle fera paroistre?Par combien de raisons cét espoir m'est permis.
LE CID.
Je s?ay ce que je dois, & ce que j'ay promis?Je ne suis pas ingrat, vous le verrez, Madame.
CHERIFFE.
Ah! grand Cid excusez les transports de mon ame,?Vous les
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