gerbes invisibles de
la prunelle de Faust!
Pourquoi ne garderions-nous pas ces noms: Faust et Marguerite? Qu'est
le chef d'oeuvre de Goethe, sinon la splendide mise en scène de
l'éternel fait de vampirisme qui, depuis le commencement du monde, a
desséché et vidé le coeur de tant de familles?
Donc Faust regardait Marguerite.--Et c'était une noce, figurez-vous,
une noce de campagne où Marguerite était la Fiancée et Faust un invité
de hasard. On dansait sur l'herbe parmi des buissons de roses.
Les parents imprudents et le marié aussi, car il avait le bouquet au côté,
le pauvre jeune rustre, contemplaient avec admiration Faust qui faisait
valser Marguerite.
Faust souriait; la tète charmante de Marguerite allait se penchant sur
son épaule, vêtue du dolman hongrois.
Et sur le buisson de roses qui fleurissait au premier plan, il y avait un
large filet dodécagone: une toile d'araignée, au centre de laquelle
l'insecte monstrueux qu'on appelle aussi la vampire suçait à loisir la
moelle d'une mouche prisonnière...
C'était tout pour la gravure en taille-douce. Au texte maintenant.
La plume peint mieux que le crayon.--Ce sont des plaines immenses
que la vieille forteresse d'Ofen regarde par-dessus le Danube, qui la
sépare de Pesth la moderne.
De Pesth jusqu'aux forêts Baconier, le long de la Theiss bourbeuse et
tumultueuse, c'est la plaine, toujours la plaine, sans limites comme la
mer.
Le jour, le soleil sourit à cet océan de verdure, et la brise heureuse
caresse en se jouant l'incommensurable champ de maïs, qui est la
Hongrie du sud.
La nuit, la lune glisse au-dessus de ces muettes solitudes. Là-bas, les
villages ont soixante mille âmes, mais il n'y a point de hameaux. Le
souvenir de la guerre avec le Turc agglomère encore les rustiques
habitations, abritées comme les troupeaux de moutons au bercail,
derrière la tour ventrue coiffée du dôme oriental et armée de canons
hors d'usage.
C'est la nuit. Les morts vont vite au pays magyare en Allemagne, mais
ils vont en chariot et non à cheval.
C'est la nuit. La lune pend à la coupole d'azur, regardant passer les nues
qui galopent follement.
L'horizon plat s'arrondit à perte de vue, montrant ça et là un arbre isolé
ou la bascule d'un puits relevée comme une potence.
Un char attelé de quatre chevaux à tous crins passe rapide comme la
tempête: un char étrange, haut sur roues, moitié valaque, moitié tartare,
et dont l'essieu jette des cris éclatants.
Avez-vous reconnu ce hussard dont le dolman flotte à la brise?--Et
cette enfant, cette douce et blonde fille? Les morts vont vite: les
clochers de Czegled ont fui au lointain, et les tours de Keczkemet et les
minarets de Szegedin. Voici les fières murailles de Temesvar, puis,
là-bas, Belgrade, la cité des mosquées...
Mais le char ne va pas jusque-là. Sa roue a touché les tables de marbre
du dernier cimetière chrétien; sa roue se brise. Faust est debout, portant
Marguerite évanouie dans ses bras...
La seconde gravure en taille-douce, oh! je m'en souviens bien!
représentait l'intérieur d'une tombe seigneuriale dans le cimetière de
Petervardein: une longue file d'arceaux où se mourait la lueur d'une
seule lampe.
Marguerite était couchée sur un lit qui ressemblait à un cercueil. Elle
avait encore ses habits de fiancée. Elle dormait.
Sous les arceaux, éclairés vaguement, une longue file de cercueils, qui
ressemblaient à des lits, supportaient de belles et pâles statues,
couchées et dormant l'éternel sommeil.
Toutes étaient vêtues en fiancées; toutes avaient autour du front la
couronne de fleur d'oranger. Toutes étaient blanches de la tête aux
pieds, sauf un point ronge au-dessous du sein gauche: la blessure par où
Faust-Vampire avait bu le sang de leur coeur.
Et Faust, il faut bien le dire, se penchait au-dessus de Marguerite
endormie: le beau Faust, le valseur admiré, le tentateur et le fascinateur.
Il était hâve; sans son costume de hussard vous ne l'auriez point
reconnu; les ossements de son crâne n'avaient plus de cheveux, et ses
yeux, ses yeux si beaux, manquaient à leurs orbites vides.
C'était un cadavre, ce Faust, et, chose hideuse à penser, un cadavre
ivre!
Il venait d'achever sa lugubre orgie: il avait bu tout le sang du coeur de
Marguerite!
Et le texte? Ma foi, je ne sais plus. Ce second tome était bien moins
amusant que le premier. Le vampire hongrois s'ennuie chez lui comme
don Juan l'Espagnol, comme l'Anglais Lovelace, comme le Français,
bourreau des coeurs, quel que soit son nom. Tous ces coquins-là, tuent
platement, comme des pleutres qu'ils sont au fond. Ils ne valent
qu'avant l'assassinat. Je n'ai jamais pu découvrir, pour ma part, la
grande différence qu'il y a entre ce pauvre Dumolard, vampire des
cuisinières, et don Juan grand seigneur. La statue du commandeur
elle-même ne me semble pas plus forte que la guillotine.
Et s'il est un maraud capable

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