La vampire | Page 2

Paul H. C. Féval
à propos d'un adorable et impur démon qui ressuscita un instant, au beau milieu de Paris et près du berceau de notre ?siècle des lumières?, les plus noires superstitions du moyen age.

LA VAMPIRE

I
LA PECHE MIRACULEUSE
Le commencement du siècle où nous sommes fut beaucoup plus légendaire qu'on ne le croit généralement. Et je ne parle pas ici de cette immense légende de nos gloires militaires, dont le sang républicain écrivit les premières pages au bruit triomphant de la fanfare marseillaise, qui déroula ses chants à travers l'éblouissement de l'empire et noya sa dernière strophe--un cri splendide--dans le grand deuil de Waterloo.
Je parle de la légende des conteurs, des récits qui endorment ou passionnent la veillée, des choses poétiques, bizarres, surnaturelles, dont le scepticisme du dix-huitième siècle avait essayé de faire table nette.
Souvenons-nous que l'empereur Napoléon Ier aimait à la folie les brouillards rêveurs d'Ossian, passés par M. Baour au tamis académique. C'est la légende guindée, roidie par l'empois; mais c'est toujours la légende.
Et souvenons-nous aussi que le roi légitime des pays légendaires, Walter Scott, avait trente ans quand le siècle naquit.
Anne Radcliffe, la sombre mère de tant de mystères et de tant de terreurs, était alors dans tout l'éclat de cette vogue qui donna le frisson à l'Europe. On courait après la peur, on recherchait le ténébreux. Tel livre sans queue ni tête obtenait un frénétique succès rien que par la description d'une oubliette à ressort, d'un cimetière peuplé de fant?mes à l'heure ?où l'airain sonne douze fois? ou d'un confessionnal à double fond bourré d'impossibilités horribles et lubriques.
C'était la mode; on faisait à ces fadaises une toilette de grands mots, appartenant spécialement à cette époque solennelle; on mettait le tout comme une purée sous le héros, cuit à point, qui était un ?coeur vertueux?, une ?ame sensible?, daignant croire au ?souverain ma?tre de l'univers? et aimant à voir lever l'aurore.
Le contraste de ces confitures philosophiques et de ces sépulcrales abominations formait un plat hybride, peu comestible, mais d'un go?t étrange qui plaisait à ces jolies dames, vêtues si dr?lement, avec des bagues aux orteils, la ceinture au-dessus du sein, la hanche dans un fourreau de parapluie et la tête sous une gigantesque feuille de chicorée.
Paris a toujours adoré d'ailleurs les contes à dormir debout, qui lui procurent la délicieuse sensation de la chair de poule. Quand Paris était encore tout petit, il avait déjà nombre d'histoires à faire frémir, depuis la coupable association formée entre le barbier et le patissier de la rue des Marmousets, pour le débit des vol-au-vent de gentilshommes, jusqu'à la boucherie galante de la maison du cul-de-sac Saint-Beno?t, dont les murs démolis avaient plus d'ossements humains que de pierres.
Et depuis si longtemps, à cet égard, Paris a peu changé. Aux premiers mois de l'année 1804, il y avait dans Paris une vague et lugubre rumeur, née de ce fait que des pêches miraculeuses avaient lieu depuis quelque temps à la pointe orientale de l'Ile Saint-Louis, en tournant un peu vers le sud-est, non loin de l'endroit où les bains Petit réunissent aujourd'hui, dans les mois d'été, l'élite des tritons parisiens.
C'est chose rare qu'un banc de poisson dans Paris. Tant d'hame?ons, tant de nasses, tant d'engins divers sont cachés sous l'eau entre Bercy et Grenelle, que les goujons seuls, d'ordinaire, et les imprudents barbillons se hasardent dans ce parcours semé de périls. Vous n'y trouveriez ni une carpe, ni une tanche, ni une perche, et si parfois un brochet s'y engage, c'est que ce requin d'eau douce a le caractère tout particulièrement aventureux.
Aussi la gent pêcheuse faisait-elle grand bruit de l'aubaine envoyée par la Providence aux citoyens amateurs de la ligne, de l'épervier et du carrelet. Sur un parcours d'une centaine de pas depuis l'égout de Bretonvilliers jusqu'au quai de la Tournelle, tout le long du quai de Béthune, vous auriez vu, tant que le jour durant, une file de vrais croyants, immobiles et silencieux, tenant la ligne et suivant d'un oeil inquiet le bouchon flottant au fil de l'eau.
Dire que tout le monde emplissait son panier serait une imposture. Les bancs de poisson, à Paris, ne ressemblent à ceux de nos c?tes; mais il est certain que ?a et là un heureux gaillard piquait un gros brochet ou un barbillon de taille inusitée. Les goujons abondaient, les chevaignes tournoyaient à fleur d'eau, et l'on voyait glisser dans l'onde trouble ces reflets pourprés qui annoncent la présence du gardon.
Ceci, en plein hiver et alors que d'habitude les poissons parisiens, frileux comme des marmottes, semblent déserter la Seine pour aller se chauffer on ne sait où.
En apparence, il y a loin de cette joie des pêcheurs et de cette folie du poisson à la rumeur lugubre dont nous avons annoncé la naissance. Mais Paris est un raisonneur de première force; il remonte volontiers de l'effet à la cause,
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