La tombe de fer | Page 2

Hendrik Conscience
et ses
mains étaient encore plus blanches que sa robe; elle portait sur ses
cheveux une couronne de fleurs d'or et d'argent, avec des petites étoiles
et des perles, comme l'Enfant Jésus dans l'église[2]. Et Lotte souriait si
doucement dans son sommeil, qu'on eût dit qu'elle rêvait déjà du ciel.
Je ne vis pas ses ailes, mais sa mère me dit qu'elles étaient repliées sous
son dos afin de se reposer pour le long voyage.... Car le ciel est bien

loin, bien loin d'ici, Janneken!
[Note 2: Dans certaines parties de la Belgique, c'est la coutume de parer
d'une couronne de fleurs artificielles le front des enfants mort.]
--Viens, Mieken, murmura le petit garçon en l'éloignant avec la main
de la petite tombe. Je ne voudrais pas mourir tout de même, car je ne
pourrais plus jouer avec toi.
--Mais, si nous pouvions aller au ciel ensemble, ce serait bien ainsi,
n'est-ce pas?
--Non, non, ne parle plus de cela, répliqua Janneken avec tristesse. Cela
me fait peine. Ah! Mieken, n'es-tu donc pas contente sur la terre?
Ils s'approchèrent de l'autre côté de l'église.
Il y a là, contre le mur, un petit enclos fermé d'une grille de fer établie
pour protéger une tombe contre les pieds des passants. Une porte à
serrure est ménagée dans la grille, et, à deux pas de là, est un banc en
bois de chêne dont la surface est polie par un long usage.
Dans l'enclos, pas de pierre portant le nom du mort chéri; mais le sol
est couvert de fleurs délicieuses. Il est visible qu'une main pieuse les
soigne et les arrose; car, tandis que dans le reste du cimetière, le gazon
est à demi grillé par la chaleur de l'été, les fleurs de la tombe montrent
une fraîcheur et une vitalité surprenantes.
--Tiens! s'écrie la petite fille, encore de nouvelles fleurs sur la tombe de
fer.... Des fleurs sorties de terre et écloses en une seule nuit; c'est
étrange, n'est-ce pas? Des fleurs qu'on ne trouve nulle part, ni dans les
prés, ni dans les champs, ni dans les bois!
--O innocente Mieken! c'est toujours l'ermite qui les plante là!
--Oui. Alors, que signifie ce banc usé? c'est la dame blanche qui vient
s'asseoir toutes les nuits sur le banc, prés de la tombe de fer, jusqu'à ce
que les coqs chantent?

--Non, c'est le vieil ermite qui vient prier tous les jours sur le banc.
--Mais qui peut être enterré là, Janneken? Ma mère na le sait pas.
--Je l'ai demandé à mon père. C'est une vilaine histoire que je ne puis
comprendre. Je crois que l'ermite a été marié avec une femme qui était
déjà morte....
--Vois, Janneken, la belle fleur! interrompit la petite fille en admiration;
avec des feuilles jaunes comme de l'or et un coeur rouge comme du
sang....
Le petit garçon regarda de tous côtés avec défiance et dit:
--Je cueillerais bien cette fleur pour l'ajouter à ta couronne, Mieken;
mais j'ai peur que l'ermite ne me voie.
--Non, non, ne la cueille pas, dit l'enfant effrayée. La dame blanche le
saurait.
Mais Janneken se pencha au-dessus du grillage de fer et s'allongea pour
saisir la belle fleur.
--Fuis, fuis, voilà l'ermite! s'écria Mieken.
Et les deux enfants s'élancèrent effrayés hors du cimetière.

I
Par une belle journée d'été, je cheminais, le bâton de voyage à la main,
le long d'une des chaussées, qui, d'Anvers, se dirigent vers la Campine.
J'étais las de rêver et de jouir du spectacle de la nature; car la longue
route avait fatigué mes membres, et la chaleur étouffante avait émoussé
la sensibilité de mon cerveau.
Ce n'était pas que j'eusse fait une longue journée de marche, ni
précipité mon pas de manière à épuiser mes forces. J'étais parti de la

ville le matin de bonne heure et j'avais marché, je m'étais assis au bord
de la route, j'avais causé avec des gens de l'auberge; j'avais cueilli des
herbes et effeuillé des fleurs, et, ainsi rêvant, flânant et jouant avec un
plaisir enfantin, je n'avais fait que trois lieues de chemin quand le soleil
commençait déjà à descendre vers l'horizon.
Ce fut avec use véritable satisfaction que j'entendis derrière moi un
bruit lointain de roues, et que je distinguai, dans un nuage dépoussière
lumineux, la gigantesque masse noire qui m'annonçait l'arrivée de la
diligence.
Lorsque la lourde voiture s'approcha enfin de l'endroit où je me
trouvais, je fis un signe au conducteur qui, de loin, m'avait déjà envoyé
un salut amical, comme à une vieille connaissance.
Il arrêta ses chevaux, ouvrit la diligence et répondit à ma question
télégraphique:
--Il y a encore place dans le coupé. Où allons-nous par ce temps
étouffant?
--Descendez-moi au chemin de Bodeghem.
--Bien, monsieur.... En route!
Je sautai dans la diligence, et, avant que je fusse assis,
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