cours, et aux poutrelles des plafonds des tapis accroches.
Il embrasse, d'un seul coup d'oeil, les deux ports (le Grand-Port et l'Eunoste), ronds tous les deux comme deux cirques, et que separe un mole joignant Alexandrie a l'ilot escarpe sur lequel se leve la tour du Phare, quadrangulaire, haute de cinq cents coudees et a neuf etages, --avec un amas de charbons nons fumant a son sommet.
De petits ports interieurs decoupent les ports principaux. Le mole, a chaque bout, est termine par un pont etabli sur des colonnes de marbre plantees dans la mer. Des voiles passent dessous; et de lourdes gabares debordantes de marchandises, des barques thalameges a incrustations d'ivoire, des gondoles couvertes d'un tendelet, des triremes et des biremes, toutes sortes de bateaux, circulent ou stationnent contre les quais.
Autour du Grand-Port, c'est une suite ininterrompue de constructions royales: le palais des Ptolemees, le Museum, le Posidium, le Cesareum, le Timonium ou se refugia Marc-Antoine, le Soma qui contient le tombeau d'Alexandre;--tandis qu'a l'autre extremite de la ville, apres l'Eunoste, on apercoit dans un faubourg des fabriques de verre, de parfums et de papyrus.
Des vendeurs ambulants, des portefaix, des aniers, courent, se heurtent. Ca et la, un pretre d'Osiris avec une peau de panthere sur l'epaule, un soldat romain a casque de bronze, beaucoup de negres. Au seuil des boutiques des femmes s'arretent, des artisans travaillent; et le grincement des chars fait envoler des oiseaux qui mangent par terre les detritus des boucheries et des restes de poisson.
Sur l'uniformite des maisons blanches, le dessin des rues jette comme un reseau noir. Les marches pleins d'herbes y font des bouquets verts, les secheries des teinturiers des plaques de couleurs, les ornements d'or au fronton des temples des points lumineux,--tout cela compris dans l'enceinte ovale des murs grisatres, sous la voute du ciel bleu, pres de la mer immobile.
Mais la foule s'arrete, et regarde du cote de l'occident, d'ou s'avancent d'enormes tourbillons de poussiere.
Ce sont les moines de la Thebaide, vetus de peaux de chevre, armes de gourdins, et hurlant un cantique de guerre et de religion avec ce refrain: "Ou sont-ils? ou sont-ils?"
Antoine comprend qu'ils viennent pour tuer les Ariens.
Tout a coup les rues se vident,--et l'on ne voit plus que des pieds leves.
Les Solitaires maintenant sont dans la ville. Leurs formidables batons, garnis de clous, tournent comme des soleils d'acier. On entend le fracas des choses brisees dans les maisons. Il y a des intervalles de silence. Puis de grands cris s'elevent.
D'un bout a l'autre des rues, c'est un remous continuel de peuple effare.
Plusieurs tiennent des piques. Quelquefois, deux groupes se rencontrent, n'en font qu'un; et cette masse glisse sur les dalles, se disjoint, s'abat. Mais toujours les hommes a longs cheveux reparaissent.
Des filets de fumee s'echappent du coin des edifices. Les battants des portes eclatent. Des pans de murs s'ecroulent. Des architraves tombent.
Antoine retrouve tous ses ennemis l'un apres l'autre. Il en reconnait qu'il avait oublies; avant de les tuer, il les outrage. Il eventre, egorge, assomme, traine les vieillards par la barbe, ecrase les enfants, frappe les blesses. Et on se venge du luxe; ceux qui ne savent pas lire dechirent les livres; d'autres cassent, abiment les statues, les peintures, les meubles, les coffrets, mille delicatesses dont ils ignorent l'usage et qui, a cause de cela, les exasperent. De temps a autre, ils s'arretent tout hors d'haleine, puis recommencent.
Les habitants, refugies dans les cours, gemissent. Les femmes levent au ciel leurs yeux en pleurs et leurs bras nus. Pour flechir les Solitaires, elles embrassent leurs genoux; ils les renversent; et le sang jaillit jusqu'aux plafonds, retombe en nappes le long des murs, ruisselle du tronc des cadavres decapites, emplit les aqueducs, fait par terre de larges flaques rouges.
Antoine en a jusqu'aux jarrets. Il marche dedans; il en hume les gouttelettes sur ses levres, et tressaille de joie a le sentir contre ses membres, sous sa tunique de poils, qui en est trempee.
La nuit vient. L'immense clameur s'apaise.
Les Solitaires ont disparu.
Tout a coup, sur les galeries exterieures bordant les neuf etages du Phare, Antoine apercoit de grosses lignes noires comme seraient des corbeaux arretes. Il y court, et il se trouve au sommet.
Un grand miroir de cuivre, tourne vers la haute mer, reflete les navires qui sont au large.
Antoine s'amuse a les regarder; et a mesure qu'il les regarde, leur nombre augmente.
Ils sont tasses dans un golfe ayant la forme d'un croissant. Par derriere, sur un promontoire, s'etale une ville neuve d'architecture romaine, avec des coupoles de pierre, des toits coniques, des marbres roses et bleus, et une profusion d'airain appliquee aux volutes des chapiteaux, a la crete des maisons, aux angles des corniches. Un bois de cypres la domine. La couleur de la mer est plus verte, l'air plus froid. Sur les montagnes a l'horizon, il y a
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