La reine Margot - Tome I | Page 7

Alexandre Dumas
de Sauve garda le silence pendant quelques secondes; puis, comme si elle e?t regardé autour d’elle pour n’être pas entendue, elle fixa un instant la vue sur le groupe où se tenait la reine mère; mais si court que fut cet instant, il suffit pour que Catherine et sa dame d’atours échangeassent chacune un regard.
-- Oh! si je voulais, dit madame de Sauve avec un accent de sirène qui e?t fait fondre la cire dans les oreilles d’Ulysse, si je voulais prendre Votre Majesté en mensonge.
-- Essayez, ma mie, essayez...
-- Ah! ma foi! j’avoue que j’en combats l’envie.
-- Laissez-vous vaincre: les femmes ne sont jamais si fortes qu’après leur défaite.
-- Sire, je retiens votre promesse pour Dariole le jour où vous serez roi de France. Henri jeta un cri de joie.
C’était juste au moment où ce cri s’échappait de la bouche du Béarnais que la reine de Navarre répondait au duc de Guise:
?_Noctu pro more_: Cette nuit comme d’habitude.?
Alors Henri s’éloigna de madame de Sauve aussi heureux que l’était le duc de Guise en s’éloignant lui-même de Marguerite de Valois.
Une heure après cette double scène que nous venons de raconter, le roi Charles et la reine mère se retirèrent dans leurs appartements; presque aussit?t les salles commencèrent à se dépeupler, les galeries laissèrent voir la base de leurs colonnes de marbre. L’amiral et le prince de Condé furent reconduits par quatre cents gentilshommes huguenots au milieu de la foule qui grondait sur leur passage. Puis Henri de Guise, avec les seigneurs lorrains et les catholiques, sortirent à leur tour, escortés des cris de joie et des applaudissements du peuple.
Quant à Marguerite de Valois, à Henri de Navarre et à madame de Sauve, on sait qu’ils demeuraient au Louvre même.

II La chambre de la reine de Navarre
Le duc de Guise reconduisit sa belle-soeur, la duchesse de Nevers, en son h?tel qui était situé rue du Chaume, en face de la rue de Brac, et après l’avoir remise à ses femmes, passa dans son appartement pour changer de costume, prendre un manteau de nuit et s’armer d’un de ces poignards courts et aigus qu’on appelait une foi de gentilhomme, lesquels se portaient sans l’épée; mais au moment où il le prenait sur la table où il était déposé, il aper?ut un petit billet serré entre la lame et le fourreau.
Il l’ouvrit et lut ce qui suit:
?J’espère bien que M. de Guise ne retournera pas cette nuit au Louvre, ou, s’il y retourne, qu’il prendra au moins la précaution de s’armer d’une bonne cotte de mailles et d’une bonne épée.?
-- Ah! ah! dit le duc en se retournant vers son valet de chambre, voici un singulier avertissement, ma?tre Robin. Maintenant faites- moi le plaisir de me dire quelles sont les personnes qui ont pénétré ici pendant mon absence.
-- Une seule, Monseigneur.
-- Laquelle?
-- M. du Gast.
-- Ah! ah! En effet, il me semblait bien reconna?tre l’écriture. Et tu es s?r que du Gast est venu, tu l’as vu?
-- J’ai fait plus, Monseigneur, je lui ai parlé.
-- Bon; alors je suivrai le conseil. Ma jaquette et mon épée.
Le valet de chambre, habitué à ces mutations de costumes, apporta l’une et l’autre. Le duc alors revêtit sa jaquette, qui était en cha?nons de mailles si souples que la trame d’acier n’était guère plus épaisse que du velours; puis il passa par-dessus son jaque des chausses et un pourpoint gris et argent, qui étaient ses couleurs favorites, tira de longues bottes qui montaient jusqu’au milieu de ses cuisses, se coiffa d’un toquet de velours noir sans plume ni pierreries, s’enveloppa d’un manteau de couleur sombre, passa un poignard à sa ceinture, et, mettant son épée aux mains d’un page, seule escorte dont il voul?t se faire accompagner, il prit le chemin du Louvre.
Comme il posait le pied sur le seuil de l’h?tel, le veilleur de Saint-Germain-l’Auxerrois venait d’annoncer une heure du matin.
Si avancée que f?t la nuit et si peu s?res que fussent les rues à cette époque, aucun accident n’arriva à l’aventureux prince par le chemin, et il arriva sain et sauf devant la masse colossale du vieux Louvre, dont toute les lumières s’étaient successivement éteintes, et qui se dressait, à cette heure, formidable de silence et d’obscurité.
En avant du chateau royal s’étendait un fossé profond, sur lequel donnaient la plupart des chambres des princes logés au palais. L’appartement de Marguerite était situé au premier étage.
Mais ce premier étage, accessible s’il n’y e?t point eu de fossé, se trouvait, grace au retranchement, élevé de près de trente pieds, et, par conséquent, hors de l’atteinte des amants et des voleurs, ce qui n’empêcha point M. le duc de Guise de descendre résolument dans le fossé.
Au même instant, on entendit le bruit d’une fenêtre du rez-de- chaussée qui s’ouvrait. Cette fenêtre était grillée; mais une main parut, souleva
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