La philosophie sociale dans le theatre dIbsen | Page 4

Ossip-Lourie
me rappelle, un jour, ma bonne me conduisit à l'église et me tenant entre ses mains me mit dans la lucarne. Ce fut pour moi un éblouissement étrange.... J'ai vu les passants, j'ai vu notre maison et les stores de nos fenêtres; j'ai aper?u aussi manière.... Tout à coup un tumulte ... on me fait des signes de là-bas.... Lorsque je suis descendu, j'ai appris que ma mère m'apercevant dans la lucarne se mit à crier et tomba sans connaissance. Dès qu'elle me revit, elle commen?a à pleurer, à m'embrasser. Quand plus tard, dans ma jeunesse, je traversais la place, je levais toujours mon regard vers cette lucarne et il me semblait qu'un lien mystérieux existait entre elle et moi.?
En 1836,--le jeune Henrik avait huit ans--ses parents furent ruinés par une catastrophe commerciale. Cette ruine changea complètement la situation de la famille Ibsen; elle quitta Skien, une misérable habitation succéda à la riche demeure. La transformation produisit une impression profonde sur le futur dramaturge; il s'enfon?ait en lui-même, évitait la société, recherchait la solitude. Tandis que ses frères cadets jouaient dans la cour, Ibsen, lui, s'enfermait dans un petit cabinet noir près de la cuisine et y passait seul des heures et des jours. ?Il nous paraissait peu aimable, écrit la soeur d'Ibsen, et nous faisions tout notre possible pour l'empêcher de s'isoler de nous. Nous aurions désiré qu'il jouat avec nous. Nous frappions à la porte de son cabinet noir; lorsque nos gamineries lui faisaient perdre patience, Henrik ouvrait subitement sa porte et se mettait à nous poursuivre, mais pas bien fort, car il était de constitution faible. Et immédiatement après, il s'enfermait de nouveau dans sa solitude.?
Isolé, il lisait beaucoup de vieux livres de marine, que possédait son père, il aimait aussi à faire des tours de passe-passe, à peindre ou à découper avec du papier des figures, des groupes, etc.
En 1842, la famille d'Ibsen revint à Skien et l'auteur des Revenants entra dans une école dirigée par des théologiens. Il se passionnait surtout beaucoup pour l'histoire et la théologie. Il se séparait rarement de la Bible. ?Un jour, raconte un de ses anciens camarades, Ibsen ayant à préparer un devoir; y rendit compte d'un songe qu'il avait fait: ?J'étais avec des amis; nous venions de traverser des montagnes et très fatigués nous nous étions couchés, comme jadis Jacob, sur des pierres. Mes compagnons s'endormirent, moi je ne pouvais fermer l'oeil. Mais la fatigue prenant enfin le dessus, je me suis endormi et j'ai fait un rêve; un ange me disait:
--Lève-toi et suis-moi!
--Où veux-tu me conduire à travers ces ténèbres? lui dis-je.
--Marchons, répondit-il, je dois te montrer le spectacle de la vie humaine, telle qu'elle est, dans toute sa réalité.
Plein d'épouvanté, je le suivis, et il me conduisit longtemps par des marches gigantesques.... Tout à coup j'ai vu une grande ville morte pleine de traces de ruine et de pourriture, c'était tout un monde de cadavres, les restes de la grandeur fanée, de la puissance flétrie.... Et une lumière pale, comme celle des églises, éclairait cette ville morte.... Et mon ame se remplit de terreur.... Et l'ange me dit tout bas: Ici, vois-tu, tout est vanité!
Et j'ai entendu un bruit--bruit d'un orage,--puis des soupirs, des milliers de voix humaines, puis un rugissement de tempête, rugissement formidable, et les morts et les cadavres s'agitèrent, et leurs bras se tendirent vers moi.... Et je me suis réveillé tout couvert de sueur.?
Orphelin à seize ans, Henrik Ibsen fut obligé pour gagner sa vie de quitter l'école et d'accepter une place d'élève-commis dans une pharmacie à Grimstad, petite ville de 800 habitants, sur les bords du Skager-Rack qui fait communiquer la mer du Nord avec le Cattégat.
Tout en préparant des pilules et des sirops, il s'abandonnait à la versification.
Le frémissement électrique qui parcourait alors l'Europe entière et la remuait jusque dans ses fondements, ébranla aussi la Scandinavie. Jusqu'à cette époque la Norvège se trouvait sous l'influence du Danemark, mais dès 1847 le mouvement nationaliste y devint grand; on commen?a à purifier le dialecte norvégien, qui fut adopté par les écrivains, on ne donna dans les théatres que des pièces nationales et ce mouvement eut sa répercussion jusqu'à la pharmacie de Grimstad, où le jeune poète discutait si la Révolution Fran?aise deviendrait la Révolution Universelle.
Lorsque, en 1848, la nation hongroise, sortant de la torpeur dans laquelle l'Autriche l'avait plongée, entama l'oeuvre de la renaissance, lorsque après trois siècles de luttes contre les usurpations inhumaines, luttes douloureuses et sanglantes, la Hongrie se révolta; lorsque le poète de son indépendance, Petoefi, s'écria: Debout, peuple hongrois! une voix isolée et faible mais enflammée lui répondit des bords du Skager-Rack, celle d'Ibsen, qui, dans un long poème, surexcita les hongrois à l'action, à la lutte pour la Liberté.

II
La boutique de Grimstad devient trop étroite pour le créateur
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