La philosophie de M. Bergson | Page 5

Albert Farges
protestations, et les enfants terribles de la nouvelle ??cole ne cesseront de nous ??mettre en garde contre les illusions de l'??vidence vulgaire[15]??, contre les notions communes d'intelligibilit??, de raison, de v??rit??, en proclamant audacieusement qu'il n'en faut plus! Pour eux, le sens commun ne fournit que des recettes pratiques, sans aucune valeur intellectuelle.
L'??difice m??taphysique bergsonien sera donc nettement antiintellectualiste, et voici ses principales th?¨ses que nous allons essayer de formuler,--autant toutefois qu'il est possible de pr??ciser et de r??duire en formules des assertions extr?amement vagues et fuyantes, ennemies-n??es de la pr??cision et de la clart?? didactiques.
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L'id??e m?¨re et la pens??e ma??tresse de tout le nouveau syst?¨me est celle du vieil H??raclite: _L'?atre n'est pas, tout est devenir pur_, c'est-??-dire perp??tuel et int??gral changement, en sorte que rien ne demeure le m?ame dans cette fuite perp??tuelle de la r??alit??: ?????????± ????μ?1 ?o?±?ˉ ????′?μ?? ???-???μ?1[16]. Il en donnait la comparaison c??l?¨bre: On ne se baigne pas deux fois dans le m?ame fleuve ni m?ame une seule fois, puisque tout change sans cesse et dans le fleuve et dans le baigneur, qui ne sont jamais les m?ames.
Or, cette fluidit?? universelle des ?atres, dont la vie est le type premier, d'apr?¨s M. Bergson, c'est ce qu'il a appel?? le Temps ou la Dur??e pure, et dont il a fait la ??substance r??sistante?? ou ??l'??toffe?? m?ame des choses, s'il est permis toutefois d'appeler de ce nom ce qui est l'inconsistance et la fluidit?? m?ame.
De cette premi?¨re n??gation de l'?atre, on va voir d??couler les plus graves cons??quences, soit _m??taphysiques,_ soit logiques, soit _crit??riologiques_.
Au point de vue _m??taphysique_, la cat??gorie de substance est biff??e.
Il n'y a plus que des modes d'?atre sans ?atre, des attributs sans sujet, des actions sans agent ou des passions sans patient; ce qui est radicalement inintelligible. Bien plus, les cat??gories d'accidents ou de modes sont r??duites ?? une seule: le mouvement perp??tuel. Qualit??, quantit??, etc., ne sont et ne peuvent ?atre que des modes de mouvements: ce qui n'est pas moins inintelligible.
Au point de vue logique, si l'?atre n'est pas, il ne saurait ?atre identique ?? lui-m?ame, et le principe d'identit?? ou de non-contradiction est ruin??, entra??nant ?? sa suite la ruine de tous les autres principes de la raison, qui, en derni?¨re analyse, s'appuient tous sur le premier, sur l'impossibilit?? que l'?atre et le non-?atre, le oui et le non soient identiques. Pour la nouvelle ??cole, au contraire, le contradictoire est sans doute impensable--vu la constitution actuelle de notre esprit,--mais nullement impossible. Bien plus, il est le fond m?ame de toute r??alit?? dans la nature, o?1 tout est ?? la fois lui-m?ame et autre que lui-m?ame, puisque tout y est devenir pur, c'est-??-dire l'h??t??rog??n??it?? m?ame et la contradiction perp??tuelle de l'?atre et du non-?atre simultan??s.
Cependant nos nouveaux philosophes veulent bien conserver ?? ces premiers principes de la raison un r?′le pratique et tout provisoire. Ainsi, la formule deux et deux font quatre n'exprime aucune v??rit?? absolue et d??finitive, mais elle reste ??commode?? et ??utile??, puisqu'elle r??ussit[17],--comme si son utilit?? pour r??gler avec mon d??biteur n'??tait pas pr??cis??ment le fruit de sa v??rit?? math??matique et absolue!
Au point de vue _crit??riologique_, les cons??quences ne sont pas moins r??volutionnaires. Puisque tout est fluent, et qu'il n'y a rien de stable ni en moi ni hors de moi, la pens??e abstraite qui nous montre des types fixes, des notions ??ternelles, des principes immuables et n??cessaires, en un mot, des v??rit??s absolues, ne saurait ?atre qu'une facult?? mensong?¨re ?? laquelle nous ne pouvons plus nous fier.
La nouvelle ??cole se proclame donc antiintellectualiste; elle fulmine contre ??les concepts fig??s, cristallis??s et morts, d'o?1 la vie s'est retir??e??, et contre toutes les combinaisons par induction ou d??duction de ces ??entit??s conceptuelles??, d??sormais ??vieux jeu??; elle proclame qu'il faut ??renoncer tout ?? fait au rationnel??, suivant la maxime favorite de W. James,--et son moyen consisterait ?? remplacer l'autorit?? ??p??rim??e?? de l'intelligence, soit intuitive, soit discursive, par une autre facult?? qu'elle appelle l'_intuition,_ mais qu'elle n'a jamais pu clairement d??finir. Cette facult?? serait comme un sentiment esth??tique, une sympathie divinatrice, enti?¨rement lib??r?? du joug de la raison et de la logique. ??Au del?? et au-dessus de la logique!?? ou bien: ??Vers les profondeurs supra-logiques!?? Telle serait, d'apr?¨s M. Le Roy, sa v??ritable devise[18].
Voil???? en quelques traits synth??tiques--sur lesquels nous aurons ?? revenir en d??tail tr?¨s longuement[19]--l'esprit de la philosophie nouvelle. Tout son d??veloppement futur tient en germe dans ces quelques principes,--si toutefois l'on peut encore parler de principes, apr?¨s la suppression des premiers principes.
C'est ?? leur lumi?¨re qu'il faut lire les ouvrages de M. Bergson, o?1 tout s'??claire, si on ne les perd jamais de vue. Tout, disons-nous, ou plut?′t presque tout, car il reste encore un petit nombre de paragraphes dans tels et tels chapitres qui semblent des ??nigmes myst??rieuses ou presque ind??chiffrables, m?ame
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