La philosophie de M. Bergson | Page 6

Albert Farges
pour les plus vieux professeurs de m??taphysique. Mais on peut ouvrir le secret des autres et p??n??trer leur synth?��se, avec un peu de patience, gr?��ce ?? cette merveilleuse cl??.
Nous allons en faire l'exp??rience, en parcourant ensemble les principaux passages de ces trois volumes. Mais auparavant, une autre remarque g??n??rale s'impose. Apr?��s avoir parl?? du fond, il faut encore parler de la forme dont cette philosophie nouvelle aime ?? se parer.
* * * * *
Si le lecteur a bien compris combien cette nouvelle m??taphysique est au rebours de celle du sens commun, ou, si l'on veut, de celle que M. Bergson lui-m?ame a appel??e ??la m??taphysique naturelle de l'intelligence humaine??[20], il n'aura pas de peine ?? pressentir que pour la faire accepter de ses lecteurs ou de ses auditeurs, un professeur doit avoir ?? son service, non seulement un grand talent litt??raire, mais encore certains proc??d??s sp??ciaux, dont il importe de d??voiler les secrets.
_D'abord_, c'est l'usage constant et l'abus de la m??taphore et, des images qu'un artiste, un po?��te, comme lui, sait manier avec une adresse et une originalit?? consomm??es, dignes du plus s??duisant des prestidigitateurs.
Nous sommes loin du temps o?1 Aristote proscrivait de tout langage philosophique et s'interdisait s??v?��rement ?? lui-m?ame l'emploi de la m??taphore, cette ??ma??tresse d'erreur??, comme il l'appelait, cette grande et incomparable magicienne qui sait donner au faux un si grand prestige[21]. La v??rit?? n'en a nul besoin et doit savoir s'en passer. Seule, elle peut montrer son visage ?? d??couvert, tandis que le faux a toujours besoin d'une parure ??trang?��re et d'un d??guisement pour se faire accepter.
Or, si nous assistons aujourd'hui aux cours publics les plus r??put??s de la nouvelle ??cole, si nous feuilletons ses ouvrages philosophiques ?? grand succ?��s, nous nous surprenons comme envelopp??s par un tourbillon ininterrompu d'images qui rivalisent d'??clat et de charme impr??vu. La m??taphore a tout envahi, si bien qu'il ne reste plus de place pour la d??monstration des th?��ses. C'est elle qui a remplac?? la preuve. On a m?ame ??rig?? en principe que seule elle prouve, en nous donnant l'intuition du r??el.
??Qu'on ne s'??tonne pas, ??crit M. Le Roy, de me voir donner plus de m??taphores que de raisonnements: la m??taphore est le langage naturel de la m??taphysique, pour autant que celle-ci consiste en une _vivification de l'inexprimable_, en une _saisie du supra-logique par le dynamisme cr??ateur de l'esprit._??[22]--Eh bien! Aristote et Platon ont d??j?? appel?? tout cela: ???????��???��?????��?1.
Les exemples abondent. Il suffit d'ouvrir au hasard le volume de l'_Evolution cr??atrice_ et d'en lire une page pour constater que le culte de la m??taphore y est ??lev?? ?? la hauteur d'un proc??d?? r??fl??chi d'exposition philosophique.
Ici, c'est la comparaison du cin??matographe qui fait para??tre continus et fluents des instantan??s disjoints et immobiles. L??, c'est l'image du kale?��doscope qui, dans le continu morcel?? et fragment??, met un ordre enchanteur mais illusoire. Ailleurs, ce sont les brillantes fus??es du feu d'artifice, qui figurent l'Evolution cr??atrice s'??levant en pens??e ??tincelante pour retomber en mati?��re, etc.
Ce proc??d?? a plusieurs avantages, en outre de la vie et du charme dont, il pare les th??ories les plus abstruses. D'abord, il joue le r?��le d'un prisme qui redresse et met d'aplomb les th?��ses de sens commun renvers??es par nos antiintellectualistes, rassurant ainsi les l??gitimes inqui??tudes des auditeurs.
Expliquons notre pens??e:
Pour nous faire comprendre la formule d'H??raclite: tout passe et rien ne demeure dans un ?atre, en sorte qu'il n'est jamais le m?ame, ni dans sa forme ni dans son fonds,--on emploie la comparaison c??l?��bre du courant d'eau vive ou du fleuve. Or, le fleuve, au contraire, demeure le m?ame dans son ?atre substantiel, son eau restant la m?ame, tant qu'elle coule de la source ?? l'embouchure. Ainsi, au lieu de nous pr??senter une image de la mobilit?? perp??tuelle et totale de l'?atre, on nous offre celle d'un simple voyage, qui est la permanence m?ame de l'?atre dont la position seule varie. Au lieu de nous offrir un exemple de changement total et perp??tuel, on choisit celui de la plus faible et plus superficielle mutation. En sorte que la th??orie du mobilisme absolu, qui renversait la raison, se trouve comme redress??e et rendue acceptable par le mirage d'une m??taphore qui a fait para??tre droit ce qui ??tait ?? l'envers.
Autre exemple: Si j'avance que la substance est une notion inutile et p??rim??e; qu'il y a des modes d'?atre sans ?atre, des attributs sans sujet, des actions sans agent, il faudra, pour ne pas trop effaroucher mon auditoire, que je lui trouve un ??quivalent ou un semblant d'??quivalent. Pour cela, j'aurai recours ?? une image. Je dirai, par exemple, qu'il y a sous les ph??nom?��nes ??un centre de jaillissement??[23], et je r??p??terai la comparaison du feu d'artifice si famili?��re ?? M. Bergson; je comparerai donc l'Evolution cr??atrice ?? ces milliers de fus??es qui s'??l?��vent dans les airs en ??ventail, apr?��s ?atre parties
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 149
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.