La philosophie de M. Bergson | Page 4

Albert Farges
jours, qu'il partira en guerre. Tous les penseurs de l'humanit?? avant lui avaient, para??t il, ignor?? la m??thode; ?? suivre pour d??couvrir la v??rit??; aucun n'avait encore su se placer au v??ritable point de vue; aussi n'avaient-ils pos?? que des ??pseudo-probl?��mes??. En un mot, ils ??taient tous intellectualistes, et M. Bergson se proclamera antiintellectualiste.
Cette pr??tention de supprimer d'un trait de plume l'exp??rience s??culaire de l'humanit??, lentement accumul??e ?? travers les ?��ges par les plus grands g??nies, est d'ailleurs une audace indispensable pour quiconque veut d??sormais devenir chef d'??cole. Descartes et Kant avaient donn?? le ton et agi de m?ame, en faisant table rase du pass??, et en ignorant de parti pris ??qu'il y e??t avant eux des hommes qui aient pens????.
Le proc??d?? est donc classique: tout novateur commence par renverser; et c'est le genre o?1 il excelle.
Pour le moment, le nouveau docteur ne r?ave encore que de d??tr?��ner Kant, en terrassant le kantisme. Kant fut pourtant le ma??tre de sa formation intellectuelle. Aux environs de 1880, lorsqu'il ??tait sur les bancs du lyc??e Condorcet ou bien sur ceux de l'Ecole normale, la doctrine officielle de l'Alma mater ??tait un kantisme rigoureux, s'en tenant ?? la Critique de la Raison pure et affectant de d??daigner les amendements et les restaurations de la Raison pratique.
Or, ce joug commen?��ait ?? peser sur les esprits. Les plus jeunes et les plus ind??pendants aspiraient ?? le briser, et M. Bergson con?��ut alors son plan de destruction. Certes, il fallait du courage et de l'audace pour renverser l'idole. M. Bergson aura l'un et l'autre, mais il saura les allier ?? une prudence consomm??e. Il gardera fid?��lement le secret du complot et n'en fera l'aveu que le jour o?1 l'idole vermoulue sera remplac??e par une autre, car--suivant un mot c??l?��bre--on ne d??truit que ce que l'on remplace.
Dans le cours de ce premier volume, on trouvera bien des traits ac??r??s contre le kantisme, mais ils ne visent gu?��re que des d??tails du syst?��me. A l'avant-derni?��re page de la conclusion seulement, il laisse entendre son dessein de s'attaquer au fondement lui-m?ame de ce syst?��me qui interdit ?? l'esprit humain l'entr??e dans le domaine du r??el et de l'absolu.
??Kant, d??clare M. Bergson, a mieux aim?? ... ??lever une barri?��re infranchissable entre le monde des ph??nom?��nes, qu'il livre tout entier ?? notre entendement, et celui des choses en soi, dont il interdit l'entr??e. Mais peut-?atre cette distinction est-elle trop tranch??e et cette barri?��re plus ais??e ?? franchir qu'on ne le suppose.??[11]
Nous verrons bient?��t comment M. Bergson esp?��re la franchir ais??ment, gr?��ce ?? sa th??orie de l'Intuition supra-intellectuelle. Et lorsqu'il aura r??ussi, ou cru r??ussir sa savante man?��uvre, nous l'entendrons faire triomphalement cette profession de foi anti-kantiste: ??Dans l'absolu nous sommes, nous circulons et vivons. La connaissance, que nous en avons est incompl?��te, sans doute, mais non pas ext??rieure ou relative. C'est l'?atre m?ame, dans ses profondeurs, que nous atteignons par le d??veloppement combin?? et progressif de la science et de la philosophie.??[12]
De l'autre c?��t?? de l'Oc??an, fera ??cho W. James, en traitant d??daigneusement la Critique de la raison pure comme ??le plus rare et le plus compliqu?? de tous les vieux mus??es de bric-??-brac??. Et cette irr??v??rence ?? l'??gard du vieux ma??tre d??chu ne soul?��vera pas, m?ame en France, la moindre protestation indign??e. Au contraire, la Revue philosophique avouera, en g??missant, que c'est l??????une conclusion ?? laquelle la presque totalit?? des philosophes est d??j?? venue avec ??clat??[13].
Quoi qu'il en soit, d?��s le d??but, M. Bergson refuse de respecter l'interdiction fondamentale du ma??tre. Il n'accepte plus sa consigne, et passe outre ?? ses d??fenses. Au fond de son c?��ur, le kantisme a v??cu.
D??j??, les premiers disciples de Kant avaient agi de m?ame. Les ??coles de Schelling, de Fichte, de Hegel, au lieu de s'abstenir de toute sp??culation sur l'absolu, comme d'un fruit d??fendu, en firent, au contraire, comme on le sait, de v??ritables d??bauches.
M. Bergson n'aura qu'?? les imiter, ?? sa mani?��re, dans leur r??volte, et il sera applaudi par tous ceux--ils sont nombreux--qui sont fatigu??s d'entendre r??p??ter que tout n'est pour nous qu'apparence et illusion, et qui ont enfin senti s'aiguiser en eux la faim et la soif du r??el et de l'absolu, pendant ces trop longs jours d'abstinence kantienne. Malheureusement, comme la raison pure, si peu comprise et si critiqu??e par Kant, lui inspire encore la m?ame d??fiance, il fera la gageure de s'en passer dans ses sp??culations, de ne se servir que d'une pr??tendue intuition esth??tique supra-intellectuelle, qui lui permettra de retourner ?? l'envers les notions les plus essentielles de la raison humaine. Son antiintellectualisme convaincu l'acculera ?? nous inventer une m??taphysique nouvelle ?? rebours des ??vidences fondamentales du sens commun.
Ce sens commun lui-m?ame deviendra un organe g?anant qu'on finira par amputer. Apr?��s s'?atre inclin?? devant lui tr?��s respectueusement dans une Pr??face[14], on ne s'occupera plus de ses perp??tuelles
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