le plus charmant qu'on puisse désirer d'une veillée de No?l dans le Rouergue [10].
[Note 10: M. l'abbé M..., du diocèse de Rodez.]
?Nos coutumes se perdent de plus en plus dans notre Rouergue, comme partout ailleurs; à mesure que les progrès s'infiltrent dans nos montagnes, les vieilles traditions disparaissent peu à peu pour faire place à la monotone banalité de l'égo?sme et du bien-être.
?Voici cependant ce qui se passe généralement, à l'occasion de No?l, dans la région montagneuse et accidentée qui entoure Rodez: c'est le vieux Rouergue, qui sut se garantir du protestantisme et de l'invasion anglaise.
?Là, dans les vastes plaines arides du Causse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée.
?Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi; on se réunissait, ainsi, nombreux, tant?t chez l'un, tant?t chez l'autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses chataignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu'on récolte dans nos vallons. Hélas! la politique s'est glissée sournoisement jusque chez nous--et finies nos patriarcales réunions.
?Groupée donc autour d'un grand feu, la famille cause doucement: tout à coup, les cloches se font entendre. ?Les carillons!? dit l'un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l'avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de No?l, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours.
?On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d'elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs soeurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village.
?Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de No?l--en patois, bien entendu:
_Au miezo mièch, Lous pastrès quitou lou lièch, Per ona audoura la noissen?o, Moun Dious! D'un Dious plé de puissen?o Benez esse Dious!_
A minuit, Les bergers quittent le lit, Pour aller adorer la naissance, Mon Dieu! D'un Dieu plein de puissance, Venez être Dieu!
?Que de fois n'ai-je pas ou? la voix chevrotante de ma bonne vieille ?Mimi?, agée de plus de quatre-vingts ans, qui me ber?ait sur ses genoux au rythme mélancolique et suppliant de ce chant na?f.
?Avant de partir pour la Messe de minuit, on pla?ait la b?che de No?l (_souquo naudolenquo_). D'après la tradition, la b?che de No?l, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu'au 1er janvier, et même, pour s'assurer une heureuse et prospère année, il faut qu'elle br?le sans s'éteindre jusqu'à l'épiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l'apre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d'immenses souches de chêne que j'ai vu porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine.?
Une plume très exercée a su mettre en scène l'antique veillée de No?l _au pays lorrain_; nous sommes heureux de reproduire ce gracieux tableau.
?C'était la veillée de No?l en pays lorrain. Dans la grande salle du chateau, ma?tres et serviteurs sont rassemblés, le souper vient de finir; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison; il a crié ?No?l!? en élevant gaiement la coupe d'argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cours des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de No?l aiment leur jeune ma?tre de quinze ans et respectent sa tête blonde, comme ils respectaient jadis les cheveux blancs de son a?eul. A la droite du comte Raoul se trouvent: le chapelain, messire Didier, qui, tout à l'heure, célébrera dans la chapelle la Messe de minuit; puis Alain, le vieil écuyer du défunt seigneur; dame Pernette, qui a nourri et élevé l'enfant; les servantes, les hommes d'armes de la petite garnison qui défend le chateau pendant ces jours troublés; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété: ?No?l! Vive notre jeune seigneur!?
?--Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul; merci de votre affection et des soins dont vous m'avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes
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