La nuit de Noël dans tous les pays | Page 9

Alphonse Chabot

[Note 14: Richard, _Traditions populaires._]
C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende
des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur
elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient
censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folles qu'il eût été
dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la
pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Criquetot-sur-Ouville.
A _Millières_, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes,
se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois
fois, le jour de Noël, à minuit.
On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent
pendant la Messe de minuit.
Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des
moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le
«Bose-aux-Moines», à Boudeville.
Mais il faut surtout lire les _légendes bretonnes._
Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent
pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons
altérés, aux rivières et aux ruisseaux.
Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de
l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois
mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa
place de lui-même.
Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par

un merle et qui met à découvert un trésor.
Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile
Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la
rivière d'Intel[15].
[Note 15: Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181.]
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont
Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la
fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un
trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'il
n'eût pas trouvé son pareil: le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il
prenait tout; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs.
Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les
ruisseaux, en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens,
il songea, pendant toute la journée, à s'en emparer.
Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups
de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les
bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguette des plus
grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa
force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse
sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla les yeux.
Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevant au-dessus
de la terre, bondissant comme un homme ivre à travers la lande déserte,
avec des secousses brusques qui faisaient sonner au loin le terrain de la
vallée.
Jusqu'à ce moment la branche magique éclairait l'endroit que la pierre
venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or.
Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se
mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien
chargé, il entassa ses pièces d'or dans ses poches, dans ses vêtements,
jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait

venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à
coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui
gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force,
comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare
ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas le fracas que fit la
pierre quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle
ne l'avait pas quitté.
Le pauvre homme fut broyé sous cette masse énorme, et de son sang il
arrosa le trésor de Saint-Mirel[16].
[Note 16: Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 190.]
Animaux Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les
formes varient suivant les différentes contrées: c'est la conversation des
animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la
lecture ou le chant de la Généalogie.
C'est sans doute une réminiscence de la représentation de l'ancien
«Mystère de la Nativité», pendant laquelle _on faisait parler les
animaux._
Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se
résumer ainsi: un paysan, probablement ivre, ayant omis d'offrir à son
bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands
boeufs de son étable:
Premier boeuf: «Que ferons-nous demain, compère»?
Second boeuf: «Porterons notre maître en terre...»
Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche
pour frapper le prophète
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