La mort de César | Page 9

Voltaire
pouvoir suprême,
Ce Cesar, que tu hais, les voulait pour toi-même. Je voulais partager,
avec Octave & toi, Le prix de cent combats, & le titre de Roi.
BRUTUS.
Ah! Dieux!

CESAR.
Tu veux parler, & te retiens à peine? Ces transports sont-ils donc de
tendresse ou de haine? Quel est donc le secret qui semble t'accabler?
BRUTUS.
Cesar....
CESAR.
Eh bien, mon fils?
BRUTUS.
Je ne puis lui parler.
CESAR.
Tu n'oses me nommer du tendre nom de père?
BRUTUS.
Si tu l'es, je te fais une unique prière.
CESAR.
Parle. En te l'accordant, je croirai tout gagner.
BRUTUS.
Fai-moi mourir sur l'heure, ou cesse de regner.
CESAR.
Ah! barbare ennemi, tigre que je caresse! Ah! coeur dénaturé
qu'endurcit ma tendresse! Va, tu n'es plus mon fils. Va, cruel Citoyen,
Mon coeur désespéré prend l'exemple du tien; Ce coeur, à qui tu fais
cette effroyable injure, Saura bien comme toi vaincre enfin la Nature.

Va, Cesar n'est pas fait pour te prier envain; J'apprendrai de Brutus à
cesser d'être humain. Je ne te connais plus. Libre dans ma puissance, Je
n'écouterai plus une injuste clémence. Tranquille, à mon courroux je
vai m'abandonner; Mon coeur trop indulgent est las de pardonner.
J'imiterai Sylla, mais dans ses violences; Vous tremblerez, ingrats, au
bruit de mes vengeances. Va, cruel, va trouver tes indignes amis. Tous
m'ont osé déplaire, ils seront tous punis. On sait ce que je puis, on verra
ce que j'ose: Je deviendrai barbare, & toi seul en es cause.
BRUTUS.
Ah! ne le quittons point dans ses cruels desseins, Et sauvons, s'il se
peut, Cesar & les Romains.
Fin du second Acte.

ACTE III.
SCENE I.
CASSIUS, CIMBER, DECIME, CINNA, CASCA, les Conjurés.
CASSIUS.
Enfin donc l'heure approche, où Rome va renaître. La Maîtresse du
monde est aujourdhui sans Maître. L'honneur en est à vous, Cimber,
Casca, Probus, Décime. Encore une heure, & le Tyran n'est plus. Ce
que n'ont pû Caton, & Pompée, & l'Asie, Nous seuls l'exécutons, nous
vengeons la patrie; Et je veux qu'en ce jour on dise à l'Univers, Mortels,
respectez Rome, elle n'est plus aux fers.
CIMBER.
Tu vois tous nos amis, ils sont prêts à te suivre, A frapper, à mourir, à
vivre s'il faut vivre, A servir le Sénat dans l'un ou l'autre sort, En
donnant à Cesar, ou recevant la mort.

DECIME.
Mais d'où vient que Brutus ne paraît point encore, Lui, ce fier ennemi
du Tyran qu'il abhorre? Lui qui prit nos sermens, qui nous rassembla
tous, Lui qui doit sur Cesar porter les premiers coups? Le gendre de
Caton tarde bien à paraître. Serait-il arrêté? Cesar peut-il connaître?...
Mais le voici. Grands Dieux! qu'il paraît abattu!
SCENE II
CASSIUS, BRUTUS, CIMBER, CASCA, DECIME, les Conjurés.
CASSIUS.
Brutus quelle infortune accable ta vertu? Le Tyran sait-il tout? Rome
est-elle trahie?
BRUTUS.
Non, Cesar ne sait point qu'on va trancher sa vie. Il se confie à vous.
DECIME.
Qui peut donc te troubler?
BRUTUS.
Un malheur, un secret, qui vous fera trembler.
CASSIUS.
De nous ou du Tyran c'est la mort qui s'apprête. Nous pouvons tous
périr; mais trembler, nous!
BRUTUS.
Arrête; Je vai t'épouvanter par ce secret affreux. Je dois sa mort à Rome,
à vous, à nos neveux, Au bonheur des mortels; & j'avais choisi l'heure,
Le lieu, le bras, l'instant, où Rome veut qu'il meure: L'honneur du

premier coup à mes mains est remis; Tout est prêt. Apprenez que
Brutus est son fils.
CIMBER.
Toi, son fils!
CASSIUS.
De Cesar!
DECIME.
O Rome!
BRUTUS.
Servilie Par un hymen secret à Cesar fut unie; Je suis de cet hymen le
fruit infortuné.
CIMBER.
Brutus, fils d'un Tyran!
CASSIUS.
Non, tu n'en es pas né; Ton coeur est trop Romain.
BRUTUS.
Ma honte est véritable. Vous, amis, qui voyez le destin qui m'accable,
Soyez par mes sermens les maîtres de mon sort. Est-il quelqu'un de
vous d'un esprit assez fort, Assez Stoïque, assez au dessus du vulgaire,
Pour oser décider ce que Brutus doit faire? Je m'en remets à vous. Quoi!
vous baissez les yeux! Toi, Cassius, aussi, tu te tais avec eux! Aucun ne
me soutient au bord de cet abîme! Aucun ne m'encourage, ou ne
m'arrache au crime! Tu frémis, Cassius! & prompt à t'étonner...
CASSIUS.

Je frémis du conseil que je vais te donner.
BRUTUS.
Parle.
CASSIUS.
Si tu n'étais qu'un Citoyen vulgaire, Je te dirais, Va, sers, sois Tyran
sous ton père; Ecrase cet Etat que tu dois soutenir; Rome aura
désormais deux traîtres à punir: Mais je parle à Brutus, à ce puissant
génie, A ce Héros armé contre la tyrannie, Dont le coeur inflexible, au
bien déterminé, Epura tout le sang que Cesar t'a donné. Ecoute, tu
connais avec quelle furie Jadis Catilina menaça sa patrie?
BRUTUS.
Oui.
CASSIUS.
Si le même jour, que ce grand criminel Dut
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