La mort de César | Page 7

Voltaire
annonçait son superbe
dessein, D'aller joindre la Perse à l'Empire Romain. On lui donnait les
noms de foudre de la guerre, De vengeur des Romains, de vainqueur de
la Terre; Mais parmi tant d'éclat, son orgueil imprudent Voulait un
autre titre & n'était pas content. Enfin parmi ces cris, & ces chants
d'allégresse, Du peuple qui l'entoure Antoine fend la presse, Il entre: ô
honte! ô crime indigne d'un Romain! Il entre, la Couronne, & le Sceptre
à la main. On se tait: on frémit: lui, sans que rien l'étonne, Sur le front
de Cesar attache la Couronne; Et soudain devant lui se mettant à
genoux, Cesar, règne, dit-il, sur la Terre & sur nous; Des Romains à ces
mots les visages pâlissent; De leurs cris douloureux les voûtes
retentissent. J'ai vu des Citoyens s'enfuir avec horreur, D'autres rougir
de honte & pleurer de douleur. Cesar, qui cependant lisait sur son
visage De l'indignation l'éclatant témoignage, Feignant des sentimens
long-tems étudiés, Jette & Sceptre & Couronne, & les foule à ses pieds.
Alors tout se croit libre, alors tout est en proie Au fol enyvrement d'une
indiscrète joie. Antoine est allarmé: Cesar feint, & rougit; Plus il cèle
son trouble, & plus on l'applaudit. La modération sert de voile à son
crime: Il affecte à regret un refus magnanime. Mais malgré ses efforts,
il frémissait tout bas, Qu'on applaudit en lui les vertus qu'il n'a pas.
Enfin ne pouvant plus retenir sa colère, Il sort du Capitole avec un front
sévère. Il veut que dans une heure on s'assemble au Sénat, Dans une
heure, Brutus, Cesar change l'Etat. De ce Sénat sacré la moitié
corrompuë, Ayant acheté Rome, à Cesar l'a venduë; Plus lâche que ce
peuple, à qui dans son malheur, Le nom de Roi du moins fait toujours
quelque horreur. Cesar, déjà trop Roi, veut encor la Couronne: Le
peuple la réfuse, & le Sénat la donne; Que faut-il faire enfin, Héros qui
m'écoutez?
CASSIUS.
Mourir, finir des jours dans l'opprobre comptés. J'ai traîné les liens de
mon indigne vie, Tant qu'un peu d'espérance a flaté ma patrie. Voici
son dernier jour, & du moins Cassius Ne doit plus respirer, lorsque

l'Etat n'est plus. Pleure qui voudra Rome, & lui reste fidelle; Je ne peux
la venger, mais j'expire avec elle. Je vais où sont nos Dieux... Pompée
& Scipion, (En regardant leurs statues.) Il est tems de vous suivre, &
d'imiter Caton.
BRUTUS.
Non, n'imitons personne, & servons tous d'exemple: C'est nous, braves
amis, que l'Univers contemple; C'est à nous de répondre à l'admiration
Que Rome en expirant conserve à notre nom. Si Caton m'avait crû, plus
juste en sa furie, Sur Cesar expirant il eût perdu la vie; Mais il tourna
sur soi ses innocentes mains; Sa mort fut inutile au bonheur des
humains. Faisant tout pour la gloire, il ne fit rien pour Rome, Et c'est la
seule faute où tomba ce grand homme.
CASSIUS.
Que veux-tu donc qu'on fasse en un tel désespoir?
BRUTUS, montrant le billet.
Voilà ce qu'on m'écrit, voilà notre devoir.
CASSIUS.
On m'en écrit autant, j'ai reçu ce reproche.
BRUTUS.
C'est trop le mériter.
CIMBER.
L'heure fatale approche. Dans une heure un Tyran détruit le nom
Romain.
BRUTUS.
Dans une heure à Cesar il faut percer le sein.

CASSIUS.
Ah! je te reconnais à cette noble audace.
DECIMUS.
Ennemi des Tyrans, & digne de ta race, Voilà les sentimens que j'avais
dans mon coeur.
CASSIUS.
Tu me rens à moi-même, & je t'en dois l'honneur; C'est-là ce
qu'attendaient ma haine & ma colère De la mâle vertu qui fait ton
caractère. C'est Rome qui t'inspire en des desseins si grands: Ton nom
seul est l'arrêt de la mort des Tyrans. Lavons mon cher Brutus,
l'opprobre de la Terre; Vengeons ce Capitole, au défaut du tonnerre.
Toi Cimber, toi Cinna, vous Romains indomptés, Avez-vous une autre
ame & d'autres volontés?
CIMBER.
Nous pensons comme toi, nous méprisons la vie. Nous détestons Cesar,
nous aimons la patrie; Nous la vengerons tous; Brutus & Cassius De
quiconque est Romain raniment les vertus.
DECIMUS.
Nés Juges de l'Etat, nés les vengeurs du crime, C'est souffrir trop
long-tems la main qui nous opprime; Et quand sur un Tyran nous
suspendons nos coups, Chaque instant qu'il respire est un crime pour
nous.
CIMBER.
Admettrons-nous quelqu'autre à ces honneurs suprêmes?
BRUTUS.
Pour venger la patrie il suffit de nous-mêmes. Dolabella, Lépide, Emile,

Bibulus, Ou tremblent sous Cesar, ou bien lui sont vendus; Ciceron qui
d'un traître a puni l'insolence, Ne sert la liberté que par son éloquence,
Hardi dans le Sénat, faible dans le danger, Fait pour haranguer Rome,
& non pour la venger. Laissons à l'Orateur, qui charme sa patrie, Le
soin de nous louer, quand nous l'aurons servie. Non, ce n'est qu'avec
vous que je veux partager Cet
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