dure de marcher sur un sol croulant, roulant, de boulets, rend l'étroite plage impossible, fait de la moindre promenade une violente gymnastique. Il faut rester sur les sommets où les splendides villas, les beaux bois, les cultures magnifiques, les blés, les jardins, avancent jusqu'aux bords du grand mur, et regardent à plaisir cette majestueuse rue de la Manche, pleine de barques et de vaisseaux, qui sépare les deux rivages et les deux grands empires du monde.
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La terre et la mer! quoi de plus! Toutes deux ont ici un charme. Cependant celui qui aime la mer pour elle-même, son ami, son amant, ira plut?t la chercher dans un lieu moins varié. Pour entrer en relation suivie avec elle, les grandes plages sablonneuses (si le sable n'est trop mou) sont bien plus commodes. Elles permettent des promenades infinies. Elles laissent rêver. Elles souffrent, entre l'homme et la mer, des épanchements mystérieux. Jamais je ne me suis plaint de ces vastes et libres arènes où d'autres trouvent un grand ennui. Je ne m'y trouve pas seul. Je vais, je viens, je le sens. Il est là le grand compagnon. Pour peu qu'il ne soit pas trop ému, de mauvaise humeur, je me hasarde à lui parler, et il ne dédaigne pas de répondre. Que de choses nous nous sommes dites aux paisibles mois où la foule est absente sur les plages illimitées de Scheveningen et d'Ostende, de Royan et de Saint-Georges! C'est là qu'en un long tête-à-tête, quelque intimité s'établit. On y prend comme un sens nouveau pour comprendre la grande langue.
On trouve triste l'Océan, lorsque des tours d'Amsterdam, le Zuiderzée appara?t terreux et d'un flot de plomb, lorsqu'aux dunes de Scheveningen on voit ses eaux surplombantes, toujours prêtes à franchir la digue. Moi, ce combat m'intéresse; cette terre m'attache, toute sérieuse qu'elle peut être; c'est l'effort, la création, l'invention de l'homme. Et la mer aussi me pla?t, par les trésors de vie féconde que je lui sais dans son sein. C'est, une des plus peuplées du monde. Vienne la nuit de la Saint-Jean, où s'ouvre la pêche, vous allez voir surgir des profondeurs l'ascension d'une autre mer, la mer des harengs. La plaine indéfinie des eaux ne sera pas assez grande pour ce déluge vivant, une des révélations les plus triomphantes de la fécondité sans bornes de la nature. Voilà ce que je sens d'avance dans cette mer, et dans les tableaux où le génie en a marqué le caractère profond. La sombre Estacade de Ruysda?l, plus qu'aucun tableau, m'a toujours attiré au Louvre. Pourquoi? Dans les teintes roussatres de ces eaux électrisées, je ne sens aucunement le froid de la mer du Nord; au contraire, la fermentation, le flot de la vie.
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Si l'on me demandait néanmoins quelle c?te de l'Océan donne la plus haute impression, je dirais: celle de Bretagne, spécialement aux sauvages et sublimes promontoires de granit qui finissent l'ancien monde, à cette pointe hardie qui défie les tempêtes, domine l'Atlantique. Nulle part, je n'ai mieux senti les nobles et hautes tristesses, qui sont les meilleures impressions de la mer. J'ai besoin d'expliquer ceci.
Il y a tristesse et tristesse,--celle des femmes, celle des forts,--celle des ames trop sensibles qui pleurent sur elles-mêmes, et celle des coeurs désintéressés, qui pour eux acceptent le sort et bénissent toujours la nature, mais sentent les maux du monde, et puisent dans la tristesse même les forces pour agir ou créer.--Combien les n?tres ont besoin de retremper souvent leur ame dans cet état qu'on peut nommer la mélancolie héro?que!
Lorsqu'il y a près de trente ans je visitais ce pays, je ne me rendais pas compte de l'attrait sérieux qu'il avait pour moi. Au fond, c'est sa grande harmonie. Ailleurs, sans qu'on se l'explique, on sent une discordance entre le sol et l'habitant. La très-belle race normande, dans les cantons où elle est pure, où elle a gardé le rouge, le roux singulier de la Scandinavie, n'a nul rapport avec la terre qu'elle occupe par hasard. Au contraire, en Bretagne, sur le sol géologique le plus ancien du globe, sur le granit et le silex, marche la race primitive, un peuple aussi de granit. Race rude, de grande noblesse, d'une finesse de caillou. Autant la Normandie progresse, autant la Bretagne est en décadence. Imaginative et spirituelle, elle n'en aime pas moins l'absurde, l'impossible, les causes perdues. Mais si elle perd en tant de choses, une lui reste, la plus rare, c'est le caractère.
Si l'on veut sortir un peu de l'anglicisme insipide et de la vulgarité qui se prétend positive, enfin des sottes joies si tristes, qu'on aille s'asseoir sur ces rocs, à la baie de Douarnenez, au promontoire de Penmark. Ou, si le vent est trop fort, qu'on se mette dans une barque aux basses ?les du Morbihan. La mer y apporte
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