atelier. Mais souvent leurs narrations ou leurs chants sont interrompus
de la manière la plus terrible. Quand le navire, fatigué par la lutte qu'il livre à la tempête,
craque dans toutes les parties; que la mâture, dans les mouvements effroyables du roulis,
plie et menace de tout écraser par sa chute, une lame vient quelquefois tomber sur le pont
avec un fracas effroyable; tout ce qu'elle rencontre est brisé, entraîné; et le navire, caché
un instant sous cette montagne d'eau, ne se dégage de la lame qui l'a affaissé, qu'après
avoir perdu tout ce qu'il avait sur le pont avec les hommes de quart que la vague furieuse
a enlevés. Rien, peut-être, n'est plus terrible, quand un événement de cette sorte a lieu,
que le sentiment qu'éprouvent, en montant sur le pont, les hommes qui étaient couchés.
Tout a disparu; ils cherchent avec effroi leurs camarades: on appelle les gens de quart
pour connaître ceux qui ont été assez heureux pour n'avoir pas été emportés. Dans les
débris que le coup de mer a laissés, on examine si quelque infortuné n'a pas été écrasé au
milieu de ce désordre affreux. On sonde autant que possible les pompes, pour savoir si le
choc terrible dans lequel le navire a paru devoir sombrer, n'a pas déterminé une voie
d'eau. Et encore si, dans la violence de la bourrasque, la voile sur laquelle on avait mis en
cape a été mise en pièces par l'impétuosité du vent; il faut, dans l'impossibilité où l'on est
de déferler une autre voile, attendre, écrasé par la mer qui tourmente le navire qui n'est
plus appuyé, que la tempête se soit calmée, et que le temps permette de reprendre la route
et de réparer autant que l'on peut les avaries qu'a causées le coup de mer.
II.
Navire fuyant vent arrière.
Une tempête continuelle, une mer effrayante ont tellement fatigué et désemparé le navire,
qu'il finirait peut-être par s'ouvrir s'il s'efforçait de rester encore long-temps _à la cape_:
une seule ressource peut être tentée pour sortir de cette position, dans laquelle les pompes
suffisent à peine à vider l'eau qui entre dans la cale par les coutures du bâtiment harassé:
on se détermine à arriver vent arrière et _à fuir avec le temps_.
Mais, en se hasardant à tenter cette manoeuvre, il est un danger que nul homme de mer ne
saurait se dissimuler, et qu'il faut une grande résolution pour affronter: c'est celui de
recevoir par le travers une lame qui peut faire sombrer le bâtiment: la certitude du péril
présent l'emporte pourtant presque toujours sur la crainte du péril douteux. Chaque
homme se porte donc à son poste, et va attendre avec zèle et attention la voix du capitaine,
ou le signal qu'il donnera, si son commandement ne peut se faire entendre dans le
mugissement de la tourmente et le bruit des vagues. La barre du gouvernail, qui, pendant
la cape, avait été amarrée sous le vent, est confiée aux hommes les plus sûrs de
l'équipage. Le moment où les lames paraissent devoir déferler avec moins de furie, est
prévu, choisi; chacun s'apprête. Le signal est donné; la barre alors est mise
précipitamment au vent; un foc est hissé; le vent frappe la voile qu'on lui présente, l'agite,
la tord avec fureur; et le bruit de cette toile, violemment froissée sur elle-même, se fait
entendre par intervalles comme la déformation d'un coup de canon; et ses claquements
dominent un instant les sifflements horribles de la bourrasque qui souffle dans la mâture
et les cordages. Le foc ainsi tourmenté ne résiste pas; il se déchire en mille pièces; mais le
navire arrive, et une lame énorme qui l'approche en s'élevant jusqu'à la hauteur de ses
hunes, le jette à une distance considérable du point où il a commencé son évolution. Le
vent bientôt le pousse avec violence sur chacune des lames qui le prend par l'arrière, et
qui, à chaque impulsion, menace de l'engloutir. Souvent, élancé sur le sommet de ces
montagnes mobiles qui semblent vouloir s'écrouler sur lui, on croirait qu'en _s'apiquant_
il va disparaître verticalement dans la lame qui le précède et dans laquelle se plonge son
beaupré. Mais cette lame, qui l'a élevé si précipitamment, déferle le long des bords et le
laisse ensuite comme à moitié submergé, dans le creux qu'elle fait en allant étendre à une
demi-lieue devant lui son écume et sa masse imposante. C'est dans une position aussi
critique que l'on sent combien les bons timonniers sont nécessaires; car c'est presque de
leur manière de gouverner que dépend le salut commun. Un faux coup de barre causé par
la maladresse, la peur ou une distraction de ceux qui gouvernent, peut faire venir le
navire en travers et le faire sombrer, ou du moins l'exposer à être défoncé par la mer.
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