premiere reigle pour bien traduire.]
En premier lieu, il fault, que le traducteur entende parfaictement le sens, & matiere de l'autheur, qu'il traduict: car par ceste intelligence il ne sera iamais obscur en sa traduction: & si l'autheur, lequel il traduict, est aulcunement scabreux, il le pourra rendre facile, & du tout intelligible. Et de ce ie te uois bailler exemple familierement. [En marge: Lieu de Ciceron interpret��.] Dedans le premier Liure des questions Tusculanes de Ciceron il y a ung tel passage Latin. Animum autem animam etiam fer�� nostri declarant nominari. Nam & agere animam, & efflare dicimus: & animosos, & bene animatos: & ex animi sententia. Ipse autem animus ab anima dictus est.
Traduisant cest Oeuure de Ciceron, i'ay parl��, comme il s'ensuict. Quant �� la difference (dy ie) de ces dictions animus, & anima, il ne s'i fault point arrester: car les facons de parler Latines, qui sont deduictes de ces deux mots, nous donnent �� entendre, qu'ilz signifient presque une mesme chose. Et est certain, que animus est dict de anima: & que anima est l'organe de animus: comme si tu uoulois dire la uertu, & instruments uitaulx estre origine de l'esprit: et iceluy esprit estre ung effect de ladicte uertu uitale. Dy moy (toy qui entends Latin) estoit il possible de bien traduire ce passage, sans une grande intelligence du sens de Ciceron? Or saiche doncques, qu'il est besoing, & necessaire �� tout traducteur d'entendre parfaictement le sens de l'autheur, qu'il tourne d'une langue en aultre. Et sans cela il ne peult traduire seurement, & fidellement.
[En marge: La seconde reigle.]
La seconde chose, qui est requise en traduction, c'est, que le traducteur ait parfaicte congnoissance de la langue de l'autheur, qu'il traduict: & soit pareillement excellent en la langue, en laquelle il se mect a traduire. Par ainsi il ne uiolera, & n'amoindrira la maiest�� de l'une, & l'aultre langue. Cuydes tu, que si ung homme n'est parfaict en la langue Latine, & Francoyse, il puisse bien traduire en Francoys [En marge: Chascune langue a ses propriet��s.] quelcque oraison de Ciceron? Entends, que chascune langue a ses propriet��s, translations en diction, locutions, subtilit��s, & uehemences �� elle particulieres. Lesquelles si le traducteur ignore, il faict tort �� l'autheur, qu'il traduict: & aussi �� la langue, en laquelle il le tourne: car il ne represente, & n'exprime la dignit��, & richesse de ces deux langues, desquelles il prend le man?ment.
[En marge: La tierce reigle.]
Le tiers poinct est, qu'en traduisant il ne se fault pas asseruir iusques �� la, que lon rende mot pour mot. Et si aulcun le faict, cela luy procede de pauuret��, & deffault d'esprit. Car s'il a les qualit��s dessusdictes (lesquelles il est besoing estre en ung bon traducteur) sans auoir esgard �� l'ordre des mots il s'arrestera aux sentences, & faira en sorte, que l'intention de l'autheur sera exprim��e, gardant curieusement la propriet�� de l'une, & l'aultre langue. Et par ainsi c'est superstition trop grande (diray ie besterie, ou ignorance?) de commencer sa traduction au commencement de la clausule: Mais si l'ordre des mots peruerti tu exprimes l'intention de celuy, que tu traduis, aulcun ne t'en peult reprendre. Ie ne ueulx taire icy la follie [En marge: C'est follie de uouloir rendre ligne pour ligne, ou uers pour uers.] d'aulcuns traducteurs: lesquelz au lieu de libert�� se submettent �� seruitude. C'est asscauoir, qu'ilz sont si sots, qu'ilz s'efforcent de rendre ligne pour ligne, ou uers pour uers. Par laquelle erreur ilz deprauent souuent le sens de l'autheur, qu'ilz traduisent, & n'expriment la grace, & parfection de l'une, & l'aultre langue. Tu te garderas diligem^ment de ce uice: qui ne demonstre aultre chose, que l'ignorance du traducteur.
[En marge: La quarte rigle.]
La quatriesme reigle, que ie ueulx bailler en cest endroict, est plus �� obseruer en langues non reduictes en art, qu'en aultres. I'appelle langues non reduictes encores en art certain, & repceu: comme est la Francoyse, l'Italienne, l'Hespaignole, celle d'Allemaigne, d'Angleterre, & aultres uulgaires. S'il aduient doncques, que tu traduises quelcque Liure Latin en ycelles (mesmement en la Francoyse) il te fault garder [En marge: Il se fault garder d'usurper mots trop approchants du Latin.] d'usurper mots trop approchants du Latin, & peu usit��s par le pass��: mais contente toy du commun, sans innouer aulcunes dictions follement, & par curiosit�� reprehensible. Ce que si aulcuns font, ne les ensuy en cela: car leur arrogance ne uault rien, & n'est tolerable entre les gens scauants. Pour cela n'entends pas, que ie die, que le traducteur s'abstienne totallement de mots, qui sont hors de l'usage commun: car [En marge: La langue Grecque, ou Latine est plus riche en dictions, que la Francoyse.] on scait bien, que la langue Grecque, ou Latine est trop plus riche en dictions, que la Francoyse. Qui nous contrainct souuent d'user de mots peu
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