tout cuirassé de beauté et les eaux se retiraient. Il allait
à grands pas par le sable du désert. Il arriva à la vallée où vous étiez
couchée. Il attendit l'aurore du jour, et alors il toucha de sa main vos
seins noirs.
Vous avez baisé sa bouche avec une bouche de flamme. Vous avez fait
du dieu cornu votre proie. Vous vous teniez debout derrière son trône,
vous l'appeliez par son nom secret. Vous murmuriez de monstrueux
oracles dans les cavernes de ses oreilles, et avec le sang des chèvres et
le sang des taureaux vous lui apprîtes à faire de monstrueux miracles.
Pendant qu'Ammon était votre compagnon de lit, votre chambre était le
Nil couvert de vapeurs, et avec votre sourire archaïque au contour
sinueux, vous regardiez monter et s'apaiser sa passion.
Son front luisait des huiles syriennes, et ses membres de marbre
étendus, déployés comme une tente à midi, faisaient pâlir la lune et
ajoutaient un nouvel éclat au jour. La longue chevelure avait neuf
coudées d'envergure; elle avait la couleur de cette gemme jaune que les
marchands apportent du Kurdistan cousue dans le rebord de leurs
manteaux. La face était comme le moût qui couvre une cuve de vin
nouveau. Les mers ne sauraient rien ajouter à la perfection du saphir de
ses yeux. Son cou fort et doux était blanc comme du lait, avec un fin
réseau de veines bleues; et d'étranges perles, qu'on eût dit de la rosée
congelée, étaient brodées sur la soie flottante....
Sur son piédestal de nacre et de porphyre, il brillait trop vivement pour
qu'on pût le contempler, car sur sa poitrine d'ivoire, scintillait la
merveilleuse émeraude de l'Océan, ce mystérieux joyau, aux reflets de
lune, que quelque plongeur des gouffres de Colchide avait trouvé parmi
les vagues de plus en plus noires, et porté à la magicienne de Colchis.
Devant son char doré, couraient des corybantes nus avec des guirlandes
de pampre, et des files de fiers éléphants s'agenouillaient pour traîner
son char, et des files de Nubiens noirs portaient sa litière, alors qu'il
parcourait la grande allée pavée de granit, entre les éventails de mobiles
plumes de paon.
Les marchands venant de Sidon, dans leurs vaisseaux bariolés, lui
apportaient de la stéatite. La plus vile des coupes qui touchaient ses
lèvres était faite d'une chrysolithe. Les marchands lui apportaient des
caisses de cèdre, pleines de vêtements somptueux et liées de cordes. La
traîne de son manteau était portée par des seigneurs de Memphis; de
jeunes rois étaient heureux de son hospitalité. Mille prêtres tondus
s'agenouillaient nuit et jour devant l'autel d'Ammon. Mille lampes
balançaient leur lumière à travers la demeure sculptée d'Ammon, et
maintenant l'impur serpent et la vipère tachetée, avec leurs petits,
rampent de pierre en pierre; car la demeure est en ruines et le grand
monolithe de marbre rose se penche. L'âne sauvage, ou le chacal
vagabond viennent se tapir dans les portes branlantes. De farouches
satyres se lancent des appels à travers les tambours cannelés qui gisent
sur le sol, et au sommet de l'édifice est perché le singe à la face bleue
d'Horus, et il piaille pendant que le figuier fait éclater les piliers du
péristyle.
Le dieu gît en fragments çà et là, profondément caché dans le sable que
le vent agite. J'ai vu sa tête de granit de géant, encore convulsée d'un
impuissant désespoir, et bien des caravanes errantes de nègres au port
imposant, aux châles de soie, en traversant le désert, s'arrêtent terrifiées
devant ce cou trop vaste pour l'embrasser.
Et bien des Bédouins barbus écartent leur burnous aux raies jaunes pour
jeter un long regard sur les muscles titaniques de celui qui fut jadis ton
paladin....
Ainsi donc va chercher des fragments par la lande, et lave-les à la rosée
du soir, et refais de ces pièces, une à une, ton amant mutilé.
Va les chercher là où elles sont abandonnées, et de ces morceaux, de
ces débris, reconstruis ton compagnon en pièces et éveille de folles
passions dans la pierre insensible. Charme par des hymnes syriens son
oreille lourde. Il aima ton corps. Oh sois bonne! Verse le nard sur sa
chevelure et enroule de douces bandes de lin autour de ses membres.
Attache autour de sa tête le collier en pièces de monnaie et rends aux
lèvres pâles leur couleur avec des fruits rouges. Tisse de la pourpre
pour ses hanches amaigries, et de la pourpre pour ses reins décharnés.
Hâte-toi vers l'Égypte. Ne crains rien. Il n'y eut jamais qu'un Dieu qui
mourut, jamais qu'un Dieu qui laissa un soldat lui planter sa lance dans
le flanc. Ceux-là, tes amants, ils ne sont point morts, et Anubis, à la
face de chien, reste à son poste d'honneur, près de la porte
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