La maison de la courtisane | Page 4

Oscar Wilde
la splendeur du soleil en plein midi, de la nouvelle Italie. Car la nuit a disparu, la nuit de sombre oppression, et le jour s'est levé avec une magnificence d'enthousiasme. Les chiens de l'Autriche sont chassés bien loin du pays, par delà ces citadelles couronnées de glace, qui se dressent pour former une ceinture à la plaine de la Royale Lombardie, depuis l'Orient lointain jusqu'à la mer orientale.
Je sais, il est vrai, que, du nombre de tes fils, il en fut qui périrent dans les eaux de Lissa, sur les pentes escarpées d'Aspromonte, sur la plaine de Novare, mais ce n'est point en vain que tes enfants sont morts pour toi. Et pourtant, à ce qu'il me semble, tu n'as point bu de ce vin sorti des raisins nouvellement foulés de la Liberté divine, tu n'as point suivi cette étoile immortelle qui pousse les peuples vers les exploits guerriers. Lasse de la vie, tu restes plongée dans le silencieux sommeil. Comme celui qui suit des yeux la venue des ombres qui s'allongent, indifférent aux heures qui vont à pas pressés, tu portes le deuil de quelque jour de gloire, car le soleil de la Liberté ne t'a point montré sa face, et dans la course tu n'as point conquis de flambeau.
Ne te réveille pas néanmoins de ton assoupissement. Reste bien en repos parmi les Asphodèles ambrés de tes campagnes, dans tes prés semés de lis. Reste là en repos, pour railler toute grandeur humaine. Qui oserait étaler les mesquins soucis de son existence, en présence de tes ruines, ou louer les querelles ambitieuses des rois, et l'orgueil stérile des nations en guerre? N'as-tu point été la fiancée du prince farouche qui régnait sur l'orageuse Adriatique, la reine des empires jumeaux, et les nations ne t'ont-elles pas été données en proie? Et maintenant, tes portes restent ouvertes nuit et jour. L'herbe pousse drue sur toutes tes tours, dans tous tes palais. Le sinistre figuier a lézardé ton mur de bastions, et là où prenaient leur repos les guerriers vêtus de mailles, la chouette de minuit a fait son nid caché. Oh! déchue, déchue de tes grandeurs, ? cité captive dans les filets de la Destinée, rien ne reste de tous tes jours de gloire qu'un écusson terni et une couronne de lauriers flétris.
Pourtant, qui donc, sous cette nuit de guerre et de terreurs, peut du haut de la tour tranquille épier la venue des armées futures? Qui peut dire à l'avance quelles joies amènera le jour, ou pourquoi les linottes chantent avant l'aube? Toi, toi aussi, tu peux te réveiller, ainsi que la rose se réveille, en son éclat d'incarnat, du tombeau que lui font les neiges, comme les opulents champs de blé qui rougissent, puis se dorent, surgissent de ce sol brun, que durcit l'apre voix de l'hiver, ou comme des mêlées de la tempête se dégage une parfaite étoile.
O cité tant aimée, j'ai voyagé bien loin des ?les ceintes de vagues qui sont ma patrie. J'ai vu le sombre mystère du D?me s'élever lentement sur la route de la morne Campagna et se revêtir de la royale pourpre du jour, et de la cité couronnée de violettes, j'ai assisté au coucher du soleil près de la colline de Corinthe, et j'ai vu le ?rire infiniment nombreux de la mer? du haut des collines qu'éclairaient les étoiles, dans l'Arcadie constellée de fleurs, et pourtant c'est à toi que revient mon plus complet amour, comme revient le soir à son nid de la forêt la tourterelle attardée.
O cité du poète, celui qui a vu à peine une vingtaine d'étés perdre leur justaucorps vert pour prendre la livrée de l'automne, ferait un vain effort pour éveiller sur sa lyre un chant plus sonore, ou pour dire les jours de gloire; et vraiment c'est peu de chose que le léger murmure qui sort du chalumeau du patre, alors que le souffle vibrant du clairon devrait ébranler le ciel et embraser toute la vo?te. Et ce serait folie que d'aborder de pareils sujets. Pourtant, je sais que mon coeur n'a jamais éprouvé une plus noble ardeur que le jour où je réveillai tes rues de leur silence sous le choc bruyant des fers de mon cheval, et que je vis la ville que j'essaie de chanter maintenant, après de longues journées d'un voyage monotone.
VII
Adieu, Ravenne! Mais il y a un an je restai debout à contempler la pourpre splendide du couchant, dans la chapelle solitaire de ta plaine marécageuse. Le ciel était pareil à un bouclier qui aurait re?u du soleil mourant la tache du sang et de la bataille, et à l'ouest, les nuages fermant le cercle avaient tissé une robe royale, digne d'être portée par quelques-uns des grands Dieux, pendant que dans la vaste étendue, l'océan de l'air empourpré, descendait la galère
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