La maison de Claudine
The Project Gutenberg EBook of La maison de Claudine, by Colette
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Title: La maison de Claudine
Author: Colette
Release Date: October 11, 2004 [EBook #13703]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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MAISON DE CLAUDINE ***
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Colette LA MAISON DE CLAUDINE (1922)
Table des matières
OÙ SONT LES ENFANTS? LE SAUVAGE AMOUR LA PETITE
L'ENLÈVEMENT LE CURÉ SUR LE MUR MA MÈRE ET LES
LIVRES PROPAGANDE PAPA ET Mme BRUNEAU MA MÈRE ET
LES BÊTES ÉPITAPHES LA «FILLE DE MON PÈRE» LA NOCE
MA SOEUR AUX LONGS CHEVEUX MATERNITÉ «MODE DE
PARIS» LA PETITE BOUILLOUX L'AMI YBANEZ EST MORT
MA MÈRE ET LE CURÉ MA MÈRE ET LA MORALE LE RIRE MA
MÈRE ET LA MALADIE MA MÈRE ET LE FRUIT DÉFENDU LA
«MERVEILLE» BA-TOU BELLAUDE LES DEUX CHATTES
CHATS LE VEILLEUR
OÙ SONT LES ENFANTS?
La maison était grande, coiffée d'un grenier haut. La pente raide de la
rue obligeait les écuries et les remises, les poulaillers, la buanderie, la
laiterie, à se blottir en contre-bas tout autour d'une cour fermée.
Accoudée au mur du jardin, je pouvais gratter du doigt le toit du
poulailler. Le Jardin-du-Haut commandait un Jardin-du-Bas, potager
resserré et chaud, consacré à l'aubergine et au piment, où l'odeur du
feuillage de la tomate se mêlait, en juillet, au parfum de l'abricot mûri
sur espaliers. Dans le Jardin-du-Haut, deux sapins jumeaux, un noyer
dont l'ombre intolérante tuait les fleurs, des roses, des gazons négligés,
une tonnelle disloquée... Une forte grille de clôture, au fond, en bordure
de la rue des Vignes, eût dû défendre les deux jardins; mais je n'ai
jamais connu cette grille que tordue, arrachée au ciment de son mur,
emportée et brandie en l'air par les bras invincibles d'une glycine
centenaire...
La façade principale, sur la rue de l'Hospice, était une façade à perron
double, noircie, à grandes fenêtres et sans grâces, une maison
bourgeoise de vieux village, mais la roide pente de la rue bousculait un
peu sa gravité, et son perron boitait, six marches d'un côté, dix de
l'autre.
Grande maison grave, revêche avec sa porte à clochette d'orphelinat,
son entrée cochère à gros verrou de geôle ancienne, maison qui ne
souriait que d'un côté. Son revers, invisible au passant, doré par le
soleil, portait manteau de glycine et de bignonier mêlés, lourds à
l'armature de fer fatiguée, creusée en son milieu comme un hamac, qui
ombrageait une petite terrasse dallée et le seuil du salon... Le reste
vaut-il la peine que je le peigne, à l'aide de pauvres mots? Je n'aiderai
personne à contempler ce qui s'attache de splendeur, dans mon souvenir,
aux cordons rouges d'une vigne d'automne que ruinait son propre poids,
cramponnée, au cours de sa chute, à quelques bras de pin. Ces lilas
massifs dont la fleur compacte, bleue dans l'ombre, pourpre au soleil,
pourrissait tôt, étouffée par sa propre exubérance, ces lilas morts depuis
longtemps ne remonteront pas grâce à moi vers la lumière, ni le
terrifiant clair de lune -- argent, plomb gris, mercure, facettes
d'améthystes coupantes, blessants saphirs aigus --, qui dépendait de
certaine vitre bleue, dans le kiosque au fond du jardin.
Maison et jardin vivent encore, je le sais, mais qu'importe si la magie
les a quittés, si le secret est perdu qui ouvrait -- lumière, odeurs,
harmonie d'arbres et d'oiseaux, murmure de voix humaines qu'a déjà
suspendu la mort -- un monde dont j'ai cessé d'être digne?...
Il arrivait qu'un livre, ouvert sur le dallage de la terrasse ou sur l'herbe,
une corde à sauter serpentant dans une allée, ou un minuscule jardin
bordé de cailloux, planté de têtes de fleurs, révélassent autrefois -- dans
le temps où cette maison et ce jardin abritaient une famille -- la
présence des enfants, et leurs âges différents. Mais ces signes ne
s'accompagnaient presque jamais du cri, du rire enfantins, et le logis,
chaud et plein, ressemblait bizarrement à ces maisons qu'une fin de
vacances vide, en un moment, de toute sa joie. Le silence, le vent
contenu du jardin clos, les pages du livre rebroussées sous le pouce
invisible d'un sylphe, tout semblait demander: «Où sont les enfants?»
C'est alors que paraissait, sous l'arceau de fer ancien que la glycine
versait à gauche, ma mère, ronde et petite en ce temps où l'âge ne l'avait
pas encore décharnée. Elle scrutait la verdure
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