La main froide | Page 3

Fortuné Du Boisgobey
bon jeu, bon argent, au lieu de faire les pimbêches: Maria, l'élève de la Maternité et Georgette, une petite actrice des Nouveautés, gaie comme un pinson. Lache ta femme honnête. Je t'invite. Nous aurons en plus Véra, la Russe... externe à la Pitié.
--Une nihiliste!... merci!... ton apprentie accoucheuse et ta figurante ne me tentent pas non plus. Du reste, tu sais bien qu'aujourd'hui, dimanche, je d?ne chez ma mère.
--Blagueur, va!... dis donc plut?t que tu as envie de suivre ta marquise de carton. Faut-il que tu sois na?f!... ?a, une grande dame?... une horizontale, tout au plus... et de petite marque, mon pauvre Paul. Je m'y connais.
--Tu crois t'y conna?tre et tu n'y entends rien.
--Ah! c'est comme ?a!... tu prétends m'en remontrer!... eh! bien, je vais te donner une le?on. Tu vas voir comment on s'y prend pour faire connaissance avec une princesse qui vient chercher fortune à la musique du Luxembourg.
Et, dégageant son bras, Mirande alla droit à la liseuse.
Paul essaya de le retenir. Il n'y réussit pas et il resta, planté sur ses jambes, au milieu de la terrasse, et fort embarrassé de sa contenance, pendant qu'à dix pas de lui, le beau Mirande s'asseyait sans fa?on sur une des chaises restées libres à c?té de la dame.
Cette fois, elle leva la tête et elle se montra dans toute sa radieuse beauté.
C'était une blonde aux yeux noirs, une blonde qui avait le teint mat et chaud d'une Espagnole de Séville avec la physionomie intelligente et vive d'une Parisienne de Paris.
Pas du tout intimidée, d'ailleurs.
--Pardon, madame, commen?a Mirande en retroussant sa moustache, vous devez vous ennuyer toute seule et je me suis dit...
Il n'acheva pas sa phrase. La dame le regardait fixement et ses yeux n'exprimaient que le dédain, mais un dédain si calme et si fier qu'il s'arrêta net.
Les grosses galanteries qu'il allait débiter lui restèrent dans le gosier. Et alors se joua une scène muette qui ravit d'aise l'ami Paul.
Déconcerté par ce regard froid et par ce silence hautain, Mirande ?ta son chapeau qu'il avait, d'un geste conquérant, enfoncé sur sa tête avant de s'emparer de la chaise vacante, alors qu'il croyait à une victoire facile.
Se découvrir poliment, ce n'était pas assez pour réparer sa première inconvenance et la dame continuait à le dévisager, sans lui adresser la parole.
Il se décida à se lever et il cherchait un mot pour se tirer le moins mal possible de la sotte situation où il s'était mis, lorsqu'il vit debout, devant lui, un monsieur, vêtu de noir, qui s'était approché sans qu'il l'entend?t venir.
--Enfin! s'écria-t-il, tout heureux de consoler son amour-propre en cherchant noise à quelqu'un; enfin je trouve à qui parler!
Jean de Mirande s'était bien aper?u que la blonde inconnue le trouvait ridicule; et il était d'autant plus vexé que Paul Cormier assistait de loin à sa défaite. Paul Cormier qu'il comptait éblouir en faisant, au pied levé, la conquête d'une femme jeune, jolie et parfaitement distinguée, quoi qu'il en e?t dit, avant de l'aborder.
Et pour se relever aux yeux de son ami de cet échec humiliant, il n'avait rien imaginé de mieux que d'apostropher un monsieur, père, frère ou mari, très probablement, de cette grande mondaine, fourvoyée au Luxembourg.
Ce personnage qui venait de surgir tout à coup, comme un diable jaillit d'une bo?te à surprise, montrait un visage complètement rasé, sauf une paire de favoris, coupés au niveau de l'oreille et portait à la boutonnière de sa longue redingote un mince ruban rouge.
Il avait tout à fait l'air d'un officier en demi-solde, un de ces types de grognards licenciés comme on en voyait du temps de la Restauration et comme on en voit encore dans les dessins de Charlet.
Grands traits qui semblaient avoir été taillés à coups de hache, regard dur, physionomie chagrine.
Au lieu d'interpeller Mirande qui s'y attendait et se préparait à répliquer vertement, l'homme vêtu de noir vint, sans dire un mot, se placer entre l'étudiant et la liseuse qui ne lisait plus.
Mirande crut que ce protecteur muet allait s'asseoir, afin d'établir par cette prise de possession son droit de défendre la belle inconnue, mais le protecteur resta debout, fron?ant le sourcil, pin?ant les lèvres et opposant sa large poitrine à toute tentative d'occupation.
--Monsieur, dit Jean, un peu déconcerté par ce sang-froid je viens d'aborder cavalièrement madame qui, je le suppose, vous tient de près. Si vous n'êtes pas content, je suis à vos ordres et je vous laisse le choix des armes. Vous pouvez m'envoyer vos témoins demain matin... Jean de Mirande, boulevard Saint-Germain, 119. Je les attendrai jusqu'à midi.
--Je n'ai que faire de votre adresse, répondit sèchement le monsieur. Passez votre chemin.
--Alors, vous ne voulez pas vous aligner? Très bien!... je me suis trompé. Je vous prenais pour un ancien militaire à cause de ce bout de ruban.
Je m'aper?ois que j'ai affaire à un
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