la terreur s'était établi dans la maison de miss Crawley, mais à la première occasion il y avait eu révolte suivie de la disgrace la plus complète. Tous les sots du presbytère prenaient texte de là pour se poser comme les victimes de l'égo?sme le plus bas, de la trahison la plus abominable; ces sacrifices, ce dévouement pour miss Crawley n'avaient été payés que par la plus noire ingratitude.
L'avancement de Rawdon d'autre part, sa mise à l'ordre du jour avaient aussi jeté l'alarme dans ces ames si charitables et si chrétiennes. Sa tante ne pouvait-elle pas se radoucir en le voyant colonel et chevalier du Bain? Qui pouvait jurer que l'odieuse créature qu'il appelait sa femme ne finirait pas par rentrer un jour en faveur?
La femme du ministre composa, sous l'inspiration de son juste courroux, un sermon sur la vanité de la gloire militaire et la prospérité des méchants, et son mari le lut à ses paroissiens, sans y comprendre un mot. Pitt se trouvait ce jour-là dans l'auditoire: il s'était rendu à l'église avec ses deux soeurs pour remplacer le chef de famille qui ne faisait plus, dans son banc seigneurial, que de fort rares apparitions.
Depuis le départ de Becky Sharp, ce vieux mécréant se livrait sans frein à ses instincts dépravés. Sa conduite était devenue un scandale pour le comté et un sujet de honte pour son fils. Jamais miss Horrocks n'avait étalé sur son bonnet un tel luxe de rubans. Les autres familles du voisinage avaient d? renoncer à toute espèce de relations avec le chateau et son propriétaire. Le baronnet allait boire chez ses fermiers, trinquait avec eux à Mudbury, et les jours de marché, il se faisait conduire à Southampton dans sa grande voiture à quatre chevaux avec miss Horrocks à sa droite.
M. Pitt, en ouvrant le journal, tremblait chaque matin d'y voir annoncé le mariage de son père avec la susdite demoiselle. L'épreuve était rude et pénible pour son amour-propre. Dans les assemblées religieuses dont il avait la présidence, et où il parlait d'ordinaire plusieurs heures de suite comment son éloquence ne se serait-elle pas glacée sur ses lèvres lorsqu'en se levant il entendait dans l'auditoire les réflexions suivantes:
?Eh! mais, ce monsieur qui se lève, c'est le fils de ce vieux réprouvé de sir Pitt qui, dans ce moment, est sans doute à boire dans quelque bouchon du voisinage.?
Une fois il parlait de la triste situation du roi de Tombouctou et de ses nombreuses épouses, plongées dans les plus épaisses ténèbres de l'idolatrie; soudain un ivrogne, élevant la voix dans la foule:
?Combien, lui cria-t-il en compte-t-on dans le harem de Crawley??
Sous le coup de cette apostrophe, l'auditoire resta tout ébahi, et il n'en fallut pas davantage pour faire manquer l'effet du discours de M. Pitt.
Quant aux deux héritières de Crawley-la-Reine, peu s'en manqua qu'elles ne fussent livrés sans contr?le à leurs inspirations personnelles. Sir Pitt avait juré que, sous aucun prétexte il ne laisserait rentrer de gouvernantes au chateau. Enfin, par bonheur pour elles et grace à l'intervention de M. Crawley, le vieux gentilhomme se décida à les mettre en pension.
à travers les nuances diverses qui résultaient dans les actes de chacun de la différence des caractères, on pouvait néanmoins reconna?tre un redoublement d'attention à l'égard de miss Crawley de la part de ses neveux et nièces; tous tenaient à lui témoigner leur affection de la manière la plus vive; tous tenaient à lui donner des gages non équivoques de leur tendresse.
Mistress Bute lui avait adressé des canards de Barbarie, des choux-fleurs d'une grosseur remarquable, une jolie bourse et une pelote faite par ses aimables filles, avec prière à leur chère tante de vouloir bien leur garder une petite place dans son coeur.
M. Pitt, plus magnifique encore dans ses envois, lui prodiguait les bourriches de pêches, de raisins et de gibier. La voiture de Southampton à Brighton apportait à miss Crawley tous ces petits cadeaux qui, sous mille formes diverses, prouvaient la tendresse de ses proches. Quelquefois même M. Pitt allait lui rendre visite; car l'humeur acariatre et revêche de son honorable père mettait souvent sa patience à bout, et le for?ait d'aller chercher au dehors l'oubli de ses soucis domestiques.
Un autre motif attirait encore M. Pitt à Brighton, c'était la présence de lady Jane de la Moutonnière. Nous avons mentionné plus haut les projets de mariage qui existaient entre les deux jeunes gens. Lady Jane habitait Brighton avec ses soeurs et sa mère la comtesse de Southdown, la femme forte de l'évangile, avantageusement connue de toutes les personnes graves et sérieuses.
Quelques mots sont nécessaires sur cette respectable famille, mêlée aux événements de ce récit par les liens qui vont la rattacher à la famille Crawley.
La vie du chef de la famille Southdown, Clément William, quatrième comte de Southdown, n'offre aucune particularité bien remarquable.
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