un sentiment de plaisir à la vue d'un jeune officier des Horse-Guards qui avait caracolé à la portière, et, lui jetant un coup d'oeil, avait dit: ?Vrai Dieu! la jolie fille.? Puis, avant d'arriver à Russell-Square, la conversation s'était longuement étendue sur l'article des modes. Les jeunes femmes portaient-elles de la poudre sur leurs cheveux, des baleines dans leurs jupes à la présentation? Miss Amélia aurait-elle cet honneur? car elle savait qu'on devait la mener au bal du lord-maire. Arrivée à la maison paternelle, miss Sedley, à l'aide du bras de Sambo, s'élan?a aussi gaie, aussi radieuse qu'aucune fille de la bonne Cité de Londres, et tous les serviteurs de la maison étaient réunis dans la cour pour fêter leur jeune ma?tresse et sourire à sa bienvenue.
Après ces premiers embrassements, miss Sedley montra à Rebecca toutes les chambres de la maison et ce qu'il y avait dans chaque chambre, ses livres, son piano, ses robes, tous ses colliers, ses broches, ses dentelles. Elle for?a Rebecca d'accepter des bagues de cornaline et de turquoise, et une écharpe de mousseline légère qui maintenant était trop petite pour elle; en dépit de la discrétion dont son amie s'était armée, elle demanda à sa mère l'autorisation de lui offrir son chale de cachemire blanc. Elle pouvait bien s'en passer, puisque son frère Joseph lui en rapportait deux de l'Inde.
Quand Rebecca vit les deux magnifiques chales de cachemire que Joseph Sedley avait rapportés à sa soeur, elle dit avec un accent de vérité: ?Ce doit être très-bon d'avoir un frère;? ce qui toucha de compassion le coeur sensible d'Amélia: elle pensait que son amie était seule au monde, pauvre orpheline, sans amis, sans parents.
?Non, vous ne serez pas abandonnée, Rebecca, dit Amélia; je serai votre amie, je vous aimerai comme une soeur; oui, comme une soeur.
--Mais où trouver des parents comme les v?tres, bons, riches, affectionnés, qui vous donnent tout ce que vous désirez, et leur amour plus précieux que tout le reste? Mon pauvre père ne me donnait rien, et je n'avais en tout que deux robes. Vous avez un frère, un bon frère! vous devez bien l'aimer!?
Amélia se mit à rire.
?Eh quoi! ne l'aimez-vous pas, vous qui dites que vous aimez tout le monde?
--Oui, sans doute.... seulement....
--Seulement, quoi?
--Seulement Joseph semble s'inquiéter fort peu si je l'aime on non. Il m'a donné ses deux doigts à serrer après une absence de dix années. Il est très-bon, très-dévoué, mais il me parle rarement, et je crois qu'il aime mieux sa pipe que sa....?
Ici Amélia s'interrompit, car pourquoi dire du mal de son frère?
?Il était très-bon pour moi quand j'étais enfant, continua-t-elle; je n'avais que cinq ans quand il est parti.
--Il doit être très-riche, reprit Rebecca, car on dit que tous les nababs indiens le sont énormément.
--Je crois qu'il a un très-gros revenu.
--Est-elle gentille, votre belle-soeur?
--Allons donc! Joseph n'est point marié,? dit Amélia se remettant à rire.
Peut-être en avait-elle déjà informé Rebecca; mais cette jeune femme ne fit pas semblant de s'en souvenir. Elle répéta même plusieurs fois qu'elle s'attendait à voir à Amélia toute une bande de neveux et de nièces. Elle regrettait beaucoup que Mr. Sedley ne f?t pas marié; elle était s?re qu'Amélia lui avait dit qu'il l'était; pour sa part, elle raffolait des petits enfants.
?Je crois que vous en aviez suffisamment à Chiswick,? dit Amélia, tout étonnée de cette tendresse subite de son amie.
Hier encore, miss Sharp ne se serait pas hasardée à avancer des propositions dont on e?t pu si facilement démontrer la fausseté; mais rappelons-nous qu'elle n'avait que dix-neuf ans, et qu'elle était bien novice dans l'art de feindre, l'innocente créature. Toutefois, le motif de cette série de questions pouvait se traduire tout simplement de la sorte: ?Si Mr. Joseph Sedley est riche et gar?on, pourquoi ne l'épouserai-je pas? Je n'ai que quinze jours devant moi, à la vérité, mais je ne risque rien d'en faire l'essai.?
Elle arrêta, dans son esprit, cette louable tentative. Elle redoubla de caresses pour Amélia, elle couvrit de baisers le collier de cornaline, et déclara qu'elle ne voulait jamais, jamais s'en séparer. Lorsque sonna la cloche du d?ner, elle descendit les escaliers, son bras passé autour de la ceinture de son amie, comme font les jeunes femmes. Elle était si émue à la porte du salon qu'elle trouva à peine le courage d'entrer.
?Sentez mon coeur, comme il bat, ma chère, dit-elle à son amie.
--Mais je ne le sens pas, dit Amélia; entrons et n'ayez pas peur: mon père ne vous fera pas de mal.?
CHAPITRE III.
Rebecca en présence de l'ennemi.
Un gros et gras gaillard, en épaisses bottes de daim à la hongroise, enseveli sous plusieurs cravates qui s'élevaient presque à la hauteur de son nez, avec un gilet rayé de rouge et un habit vert pomme sur lequel brillaient des boutons d'acier aussi larges qu'une couronne,
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