?Son grand coeur en demandait trop?, ��crivaient na?vement les bonnes institutrices dans leur bulletin mensuel. Elles remarqu��rent que, lorsque Clara se prit d'amiti�� s��rieuse, ce qui ne lui arriva que deux ou trois fois, durant cette p��riode d'��tudes, ce fut pour une compagne peu jolie, peu coquette, une inf��rieure sous le rapport de la fortune, un souffre-douleur comme avait ��t�� le ?Mouton?. Ces amiti��s ��taient violentes, concentr��es, avec de brusques expansions; elles rappelaient l'idylle de son enfance ouvri��re: ?Voyez cette maniaque de Clara, chuchotaient les pensionnaires, est-elle assez jalouse de ses laiderons? Qui songe cependant �� les lui disputer?? Pour les laiderons elle aurait arrach�� les yeux et les cheveux aux plus grandes. Plus d'une de celles-ci fut trait��e comme ce lache Bastyns. En revanche, elle ne pardonnait pas la moindre trahison �� ses favorites. Elle aurait plut?t souffert �� se briser le coeur de d��sespoir et de regret que de rendre apparemment son affection �� une ingrate.
Elle se brouilla avec toutes.
Gamine, elle ��tait int��ressante. Sa beaut�� ne s'annon?a qu'�� dix-huit ans, au sortir de l'internat; mais alors Clara Mortsel repr��senta un de ces types de jeunes filles qui perp��tuent �� travers les si��cles la r��putation du sang d'une ville. Portrait aviv�� et mieux en chair de Rikka, elle ajoutait aux attach��s fines, �� la physionomie r��guli��re de l'ex-cam��riste, la robustesse sanguine, la belle sant�� animale de l'ancien briquetier.
Les parents s'extasi��rent devant cette transfiguration. Nul n'aurait suspect�� dans cette florissante cr��ature la bassesse de son origine. Eux avaient beau s'observer; chez l'entrepreneur et sa compagne, tout trahissait la plus infime roture. Clara s'��panouissait, au contraire, avec la grace d'une h��riti��re: son geste, son port, sa mise, sa parole, rev��taient ce naturel supr��me que conf��re seule la longue habitude d'alentours polic��s. Ces glorieux dehors donn��rent aux Mortsel tout apaisement sur la nature de leur enfant.
Les bizarreries de la fillette �� Boom, sa passion de gamine pour le goujat de Duffel ne les avaient jamais inqui��t��s; les r��ticences et les observations formul��es dans les bulletins de la directrice de pension ne les pr��occup��rent pas davantage; et aujourd'hui ils ne song��rent pas plus qu'auparavant �� contr?ler les rouages de cette nature et �� lire dans le temp��rament derri��re ses aspects. Ils subirent avec une humilit�� na?ve et touchante la sup��riorit�� de ?leur Clara?. Loin de songer �� la diriger, ils se laiss��rent conduire par elle, sans jamais la contrarier, heureux de se pr��ter �� ses fantaisies. Ils la trouv��rent accomplie, irr��prochable. Elle flattait leur orgueil de parvenus, elle d��mentait leurs commencements pl��b��iens. C'��tait la justification de leur fortune, la raison d'��tre de leurs millions, leurs vivants titres de noblesse.
A la v��rit��, Clara m��ritait leur affection; seulement, s'ils avaient ��t�� des analystes capables de se rendre compte des ressorts secrets d'un ��tre, leur amour fut parti d'une profonde piti�� plut?t que d'une admiration idolatre.
Chez cette adolescente de formes si nobles, en qui, sauf les vertigineux yeux noirs, rien n'��voquait la petite sauvagesse de jadis, se d��veloppaient les anciens instincts. La soci��t�� n'eut pas plus raison de ses penchants que l'internat. Son caract��re impressionnable ne se trempa point et continua de se refuser aux impressions communes; ses imaginations excessives ne se temp��r��rent pas au frottement de la vie; ses affinit��s et ses antipathies s'accentu��rent de part et d'autre et se repouss��rent davantage au lieu de s'��quilibrer.
La mansu��tude de l'enfant, sa partialit�� pour les ouvriers, loin d'avoir ��t�� corrig��e par l'��ducation, croissaient, gonflaient avec l'ardeur d'une suggestion rare, d'un sentiment incompris. Du jour o��, fille de millionnaire, les convenances adopt��es par ses nouveaux pairs la forc��rent de rougir de son extraction et de m��priser ses anciens ��gaux, sa tendresse pour le peuple ne se manifesta plus, mais la d��vora d'une passion intense et inextinguible comme un feu souterrain. Peut-��tre e?t-elle proclam�� ses pr��dilections malgr�� le monde et les lois sociales, si ce besoin de se d��vouer, de se ravaler, d'��tre complaisante �� des gens au-dessous d'elle, de consoler les gueux de leur abjection en partageant celle-ci, si ces ��lans de soeur de charit�� ne s'��taient compliqu��s de curiosit��s physiques, d'aspirations �� des volupt��s exceptionnelles, de d��sirs d'anges ��pris de simples hommes et anxieux de choir �� n'importe quelle profondeur pour retrouver ces ��tres faits d'argile et d'ouvrir des tr��sors de caresses et de douceurs aux victimes de nos conventions, souvent les ��lus de la Nature, souvent les plus beaux et les meilleurs d'entre nous.
Elle ��tait attaqu��e de la nostalgie de la d��ch��ance. Elle construisait son roman �� rebours de celui que r��vaient pour elle ses parents ��blouis: son prince charmant serait un fruste enfant du peuple.
Elle portait �� l'humanit�� laborieuse une sorte de culte panth��iste. Une pl��be ��norme, rousse et farouche comme les fauves, hantait ses r��ves.
De bonne heure elle se pr��ta �� l'attirance des foules. En temps de r��jouissances populaires elle entra?nait Rikka vers les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.