La deux fois morte, by Jules
Lermina
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Title: La deux fois morte
Author: Jules Lermina
Release Date: February 11, 2006 [EBook #17752]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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FOIS MORTE ***
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MAGIE PASSIONNELLE
LA DEUX FOIS MORTE
PAR
JULES LERMINA
PARIS CHAMUEL, ÉDITEUR 79, Rue Du Faubourg-Poissonnière
(Près la rue Lafayette)
1895
I
A peine eus-je posé le pied sur la terre de France--au retour de la
longue mission qui m'avait retenu pendant près de trois années dans
l'extrême Orient--que je me mis en route pour le coin de Sologne où
s'étaient cloîtrés mes amis.
J'avais naguère trouvé assez étrange cette idée de s'aller enfermer avec
une jeune femme, presque une enfant, dans une solitude morose, et cela
dès le lendemain d'un mariage que j'avais d'ailleurs fort approuvé, en
raison de la camaraderie qui avait unis enfants ceux qui devenaient
époux.
Je les avais dès lors surnommés Paul et Virginie, et je continuerai à les
désigner ainsi, estimant que l'impersonnalité convient aux faits
singuliers dont je veux en ce récit conserver le souvenir.
De dix ans plus âgé que Paul, je m'étais toujours intéressé à son
caractère. Sa nervosité excessive souvent m'avait effrayé, quoique en
somme elle ne me parût exercer sur ses actes aucune influence
mauvaise et ne se traduisît d'ordinaire que par une rare ténacité de
volonté.
J'ai toujours eu grand goût pour les sciences naturelles, avant même que
l'éducation et les circonstances aient fait de moi le très modeste savant
que je suis. Mais je n'ai jamais été doué que d'une mémoire très relative.
Ce qui me fait surtout défaut, c'est la mémoire dite visuelle. Par
exemple, si je rencontre dans mes excursions de botaniste quelque fleur
dont l'éclat ou l'originalité de structure m'enchantent, il m'est presque
impossible, une fois dans mon cabinet, de reconstituer en image
cérébrale la silhouette ou la couleur qui m'ont ravi tout à l'heure.
Il en allait tout autrement de Paul. S'était-il trouvé avec moi au moment
de l'observation, le lendemain et même plusieurs jours après il me
suffisait de lui rappeler le moindre détail pour qu'aussitôt, du crayon et
du pinceau, il reproduisît avec une étonnante exactitude, en les plus
minutieuses particularités, la plante qui avait attiré mon attention. Bien
plus, ses yeux, qui devenaient fixes et regardaient droit devant lui
comme s'ils eussent percé la muraille pour retrouver le modèle, avaient,
dans leur étonnante faculté de vision--rétrospective--visé, reconnu,
conservé des accidents de tissus ou de teintes qui m'avaient échappé. A
ce point qu'il m'arrivait d'aller vérifier par moi-même s'il n'obéissait pas
à un jeu de sa fantaisie. En ce sens, jamais je ne le pris en défaut.
Aussi, lorsque je le conduisais au théâtre, à la ville voisine du château
qu'habitait sa famille, pendant plusieurs jours, je le surprenais immobile,
étranger à tout ce qui l'entourait. A mes questions, il répondait qu'il
était occupé à revoir la pièce vue. Si je le pressais, alors il me peignait
d'une voix lente et recueillie toutes les péripéties théâtrales, leur
rendant une vie que nous aurions qualifiée de factice, mais qui pour lui,
je l'ai compris depuis, était absolument réelle.
Ces facultés exceptionnelles ne firent que se développer avec l'âge. Je
pourrais dire qu'il vivait deux fois chaque jour de sa vie, occupant son
lendemain à revivre la veille. Peut-être plus exactement ne vivait-il que
la moitié d'une vie, dépensant l'autre à se souvenir.
Oserai-je tout avouer? En ces étrangetés, on craint toujours, quelles que
soient sa conviction et sa sûreté d'intellect, de passer pour un imposteur
ou une dupe. Ce qui dépasse la limite de ce qu'on appelle le
possible--comme si on en pouvait fixer la mesure--apparaît toujours au
vulgaire comme le produit d'une imagination malade ou imbécile!
Un jour--Paul avait alors quinze ans et cette faculté de
recommencement s'affirmait en lui de plus en plus--il me rappela un
mendiant que nous avions rencontré ensemble, tellement sordide et
malingreux que jamais Callot ni Goia n'eussent désiré modèle plus...
réaliste.
Très affiné, poussant même la délicatesse jusqu'à l'afféterie, il avait
horreur de ces types dégradés par la misère et l'ivrognerie. Celui-ci à
qui il avait jeté une aumône lui avait causé un profond dégoût, et je
puis dire que sa mémoire en était hantée. Je
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