qu'un homme comme vous puisse avoir peur. Cependant réfléchissez.
En ce moment on entendait la voix de Chicot, qui criait:
--Saint-Luc, mon petit Saint-Luc, voyons, ne te cache pas comme tu fais. Tu vois bien que je t'attends pour rentrer au Louvre.
--Sire, me voici, répondit Saint-Luc en s'élan?ant dans la direction de la voix de Chicot.
Près du bouffon était Henri III, auquel un page tendait déjà le lourd manteau fourré d'hermine, tandis qu'un autre lui présentait de gros gants montant jusqu'aux coudes, et un troisième le masque de velours doublé de satin.
--Sire, dit Saint-Luc en s'adressant à la fois aux deux Henri, je vais avoir l'honneur de porter le flambeau jusqu'à vos litières.
--Point du tout, dit Henri, Chicot va de son c?té, moi du mien. Mes amis sont tous des vauriens qui me laissent retourner seul au Louvre tandis qu'ils courent le carême prenant. J'avais compté sur eux, et les voilà qui me manquent; or tu comprends que tu ne peux me laisser partir ainsi. Tu es un homme grave et marié, tu dois me ramener à la reine. Viens, mon ami, viens. Holà! un cheval pour M. Saint-Luc. Non pas; c'est inutile, ajouta-t-il en se reprenant, ma litière est large; il y a place pour deux.
Jeanne de Brissac n'avait pas perdu un mot de cet entretien, elle voulut parler, dire un mot à son mari, prévenir son père que le roi enlevait Saint-Luc; mais Saint-Luc, pla?ant un doigt sur sa bouche, l'invita au silence et à la circonspection.
--Peste! dit-il tout bas, maintenant que je me suis ménagé Fran?ois d'Anjou, n'allons pas nous brouiller avec Henri de Valois.--Sire, ajouta-t-il tout haut, me voici. Je suis si dévoué à Votre Majesté, que, si elle l'ordonnait, je la suivrais jusqu'au bout du monde.
Il y eut un grand tumulte, puis grandes génuflexions, puis grand silence pour ou?r les adieux du roi à mademoiselle de Brissac et à son père. Ils furent charmants.
Puis les chevaux piaffèrent dans la cour, les flambeaux jetèrent sur les vitraux leurs rouges reflets. Enfin, moitié riant, moitié grelottant, s'enfuirent, dans l'ombre et la brume, tous les courtisans de la royauté et tous les conviés de la noce.
Jeanne, demeurée seule avec ses femmes, entra dans sa chambre et s'agenouilla devant l'image d'une sainte en laquelle elle avait beaucoup de dévotion. Puis elle ordonna qu'on la laissat seule, et qu'une collation f?t prête pour le retour de son mari.
M. de Brissac fit plus, il envoya six gardes attendre le jeune marié à la porte du Louvre, afin de lui faire escorte lorsqu'il reviendrait. Mais, au bout de deux heures d'attente, les gardes envoyèrent un de leurs compagnons prévenir le maréchal que toutes les portes étaient closes au Louvre, et qu'avant de fermer la dernière, le capitaine du guichet avait répondu:
--N'attendez point davantage, c'est inutile; personne ne sortira plus du Louvre cette nuit. Sa Majesté est couchée, et tout le monde dort.
Le maréchal avait été porter cette nouvelle à sa fille, qui avait déclaré qu'elle était trop inquiète pour se coucher, et qu'elle veillerait en attendant son mari.
CHAPITRE II
COMMENT CE N'EST PAS TOUJOURS CELUI QUI OUVRE LA PORTE QUI ENTRE DANS LA MAISON.
La porte Saint-Antoine était une espèce de vo?te en pierre, pareille à peu près à notre porte Saint-Denis et à notre porte Saint-Martin d'aujourd'hui. Seulement elle tenait par son c?té gauche aux batiments adjacents à la Bastille, et se reliait ainsi à la vieille forteresse.
L'espace compris à droite entre la porte et l'h?tel de Bretagne était grand, sombre et boueux; mais cet espace était peu fréquenté le jour, et tout à fait solitaire quand venait le soir, car les passants nocturnes semblaient s'être fait un chemin au plus près de la forteresse, afin de se placer en quelque sorte, dans ce temps où les rues étaient des coupe-gorge, où le guet était à peu près inconnu, sous la protection de la sentinelle du donjon, qui pouvait non pas les secourir, mais tout au moins par ses cris appeler à l'aide et effrayer les malfaiteurs.
Il va sans dire que les nuits d'hiver rendaient encore les passants plus prudents que les nuits d'été.
Celle pendant laquelle se passent les événements que nous avons déjà racontés et ceux qui vont suivre était si froide, si noire et si chargée de nuages sombres et bas, que nul n'e?t aper?u, derrière les créneaux de la forteresse royale, cette bienheureuse sentinelle qui, de son c?té, e?t été fort empêchée de distinguer sur la place les gens qui passaient.
En avant de la porte Saint-Antoine, du c?té de l'intérieur de la ville, aucune maison ne s'élevait, mais seulement de grandes murailles. Ces murailles étaient, à droite, celles de l'église Saint-Paul; à gauche, celles de l'h?tel des Tournelles. C'est à l'extrémité de cet h?tel, du c?té de la rue Sainte-Catherine, que la muraille faisait cet angle rentrant dont avait parlé Saint-Luc à
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