La curée

Emile Zola
La curée

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Title: La curée
Author: Émile Zola
Release Date: January 19, 2006 [EBook #17553]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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Émile Zola
LA CURÉE
(1872)

I
Au retour, dans l'encombrement des voitures qui rentraient par le bord
du lac, la calèche dut marcher au pas. Un moment, l'embarras devint tel,
qu'il lui fallut même s'arrêter.
Le soleil se couchait dans un ciel d'octobre, d'un gris clair, strié à
l'horizon de minces nuages. Un dernier rayon, qui tombait des massifs
lointains de la cascade, enfilait la chaussée, baignant d'une lumière
rousse et pâlie la longue suite des voitures devenues immobiles.
Les lueurs d'or, les éclairs vifs que jetaient les roues semblaient s'être
fixés le long des réchampis jaune paille de la calèche, dont les
panneaux gros bleu reflétaient des coins du paysage environnant. Et,
plus haut, en plein dans la clarté rousse qui les éclairait par-derrière, et
qui faisait luire les boutons de cuivre de leurs capotes à demi pliées,
retombant du siège, le cocher et le valet de pied, avec leur livrée bleu
sombre, leurs culottes mastic et leurs gilets rayés noir et jaune, se
tenaient raides, graves et patients, comme des laquais de bonne maison
qu'un embarras de voitures ne parvient pas à fâcher.
Leurs chapeaux, ornés d'une cocarde noire, avaient une grande dignité.
Seuls, les chevaux, un superbe attelage bai, soufflaient d'impatience.
--Tiens, dit Maxime, Laure d'Aurigny, là-bas, dans ce coupé.... Vois
donc, Renée.
Renée se souleva légèrement, cligna les yeux, avec cette moue exquise
que lui faisait faire la faiblesse de sa vue.
--Je la croyais en fuite, dit-elle.... Elle a changé la couleur de ses
cheveux, n'est-ce pas?
--Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge.
Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière basse de la
calèche, regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis une heure, la tenait
silencieuse, allongée au fond de la voiture, comme dans une chaise

longue de convalescente. Elle portait, sur une robe de soie mauve, à
tabliers et à tunique, garnie de larges volants plissés, un petit paletots
de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui lui donnait un grand air
de crânerie? Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la couleur rappelait
celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince chapeau orné
d'une touffe de roses du Bengale. Elle continuait à cligner des yeux,
avec sa mine de garçon impertinent, son front pur traversé d'une grande
ride, sa bouche, dont la lèvre supérieure avançait, ainsi que celle des
enfants boudeurs. Puis, comme elle voyait mal, elle prit son binocle, un
binocle d'homme, à garniture d'écaille, et, le tenant à la main sans se le
poser sur le nez, elle examina la grosse Laure d'Aurigny tout à son aise,
d'un air parfaitement calme.
Les voitures n'avançaient toujours pas. Au milieu des taches unies, de
teinte sombre, que faisait la longue file des coupés, fort nombreux au
Bois par cet après-midi d'automne, brillaient le coin d'une glace, le
mors d'un cheval, la poignée argentée d'une lanterne, les galons d'un
laquais haut placé sur son siège. Çà et là, dans un landau découvert,
éclatait un bout d'étoffe, un bout de toilette de femme, soie ou velours.
Il était peu à peu tombé un grand silence sur tout ce tapage éteint,
devenu immobile. On entendait, du fond des voitures, les conversations
des piétons. Il y avait des échanges de regards muets, de portières à
portières; et personne ne causait plus, dans cette attente que coupaient
seuls les craquements des harnais et le coup de sabot impatient d'un
cheval. Au loin, les voix confuses du Bois se mouraient.
Malgré la saison avancée, tout Paris était là: la duchesse de Sternich, en
huit-ressorts; Mme de Lauwerens, en victoria très correctement attelée;
la baronne de Meinhold, dans un ravissant cab bai-brun; la comtesse
Vanska, avec ses poneys pie; Mme Daste, et ses fameux stappers noirs;
Mme de Guende et Mme Teissière, en coupé; la petite Sylvia, dans un
landau gros bleu. Et encore don Carlos, en deuil, avec sa livrée antique
et solennelle; Selim pacha, avec son fez et sans son gouverneur; la
duchesse de Rozan, en coupé égoïste, avec sa livrée poudrée à blanc; M.
le comte de Chibray, en dog-cart; M. Simpson, en mail de la plus belle
tenue; toute la colonie américaine. Enfin deux académiciens, en fiacre.

Les premières voitures se dégagèrent et, de
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