La curée | Page 9

Emile Zola
d'une baigneuse folle de sa chair.
Sa coiffure haute, ses fins cheveux jaunes retroussés en forme de casque, et dans lesquels courait une branche de lierre, retenue par un noeud de violettes, augmentaient encore sa nudité, en découvrant sa nuque que des poils follets, semblables à des fils d'or, ombraient légèrement.
Elle avait, au cou, une rivière à pendeloques, d'une eau admirable, et, sur le front, une aigrette faite de brins d'argent, constellés de diamants. Et elle resta ainsi quelques secondes sur le seuil, debout dans sa toilette magnifique, les épaules moirées par les clartés chaudes.
Comme elle avait descendu vite, elle soufflait un peu.
Ses yeux, que le noir du parc Monceau avait emplis d'ombre, clignaient devant ce flot brusque de lumière, lui donnaient cet air hésitant des myopes, qui était chez elle une grace.
En l'apercevant, la petite marquise se leva vivement, courut à elle, lui prit les deux mains; et, tout en l'examinant des pieds à la tête, elle murmurait d'une voix fl?tée:
--Ah! chère belle, chère belle....
Cependant, il y eut un grand mouvement, tous les convives vinrent saluer la belle Mme Saccard, comme on nommait Renée dans le monde. Elle toucha la main presque à tous les hommes. Puis elle embrassa Christine, en lui demandant des nouvelles de son père, qui ne venait jamais à l'h?tel du parc Monceau. Et elle restait debout, souriante, saluant encore de la tête, les bras mollement arrondis, devant le cercle des dames qui regardaient curieusement la rivière et l'aigrette.
La blonde Mme Haffner ne put résister à la tentation; elle s'approcha, regarda longuement les bijoux, et dit d'une voix jalouse:
--C'est la rivière et l'aigrette, n'est-ce pas?...
Renée lit un signe affirmatif. Alors toutes les femmes se répandirent en éloges; les bijoux étaient ravissants, divins; puis elles en vinrent à parler, avec une admiration pleine d'envie, de la vente de Laure d'Aurigny, dans laquelle Saccard les avait achetés pour sa femme; elles se plaignirent de ce que ces filles enlevaient les plus belles choses, bient?t il n'y aurait plus de diamants pour les honnêtes femmes. Et, dans leurs plaintes, per?ait le désir de sentir sur leur peau nue un de ces bijoux que tout Paris avait vus aux épaules d'une impure illustre, et qui leur conteraient peut-être à l'oreille les scandales des alc?ves où s'arrêtaient si complaisamment leurs rêves de grandes dames. Elles connaissaient les gros prix, elles citèrent un superbe cachemire, des dentelles magnifiques. L'aigrette avait co?té quinze mille francs, la rivière cinquante mille francs. Mme d'Espanet était enthousiasmée par ces chiffres. Elle appela Saccard, elle lui cria:
--Venez donc qu'on vous félicite! Voilà un bon mari!
Aristide Saccard s'approcha, s'inclina, fit de la modestie. Mais son visage grima?ant trahissait une satisfaction vive. Et il regardait du coin de l'oeil les deux entrepreneurs, les deux ma?ons enrichis, plantés à quelques pas, écoutant sonner les chiffres de quinze mille et de cinquante mille francs, avec un respect visible.
A ce moment, Maxime, qui venait d'entrer, adorablement pincé dans son habit noir, s'appuya avec familiarité sur l'épaule de son père, et lui parla bas, comme à un camarade, en lui désignant les ma?ons d'un regard. Saccard eut le sourire discret d'un acteur applaudi.
Quelques convives arrivèrent encore. Il y avait au moins une trentaine de personnes dans le salon. Les conversations reprirent; pendant les moments de silence, on entendait, derrière les murs, des bruits légers de vaisselle et d'argenterie. Enfin, Baptiste ouvrit une porte à deux battants, et, majestueusement, il dit la phrase sacramentelle:
--Madame est servie.
Alors, lentement, le défilé commen?a. Saccard donna le bras à la petite marquise; Renée prit celui d'un vieux monsieur, un sénateur, le baron Gouraud, devant lequel tout le monde s'aplatissait avec une humilité grande; quant à Maxime, il l'ut obligé d'offrir son bras à Louise de Mareuil; puis venait le reste des convives, en procession, et, tout au bout, les deux entrepreneurs, les mains ballantes.
La salle à manger était une vaste pièce carrée, dont les boiseries de poirier noirci et verni montaient à hauteur d'homme, ornées de minces filets d'or. Les quatre grands panneaux avaient d? être ménagés de fa?on à recevoir des peintures de nature morte; mais ils étaient restés vides, le propriétaire de l'h?tel ayant sans doute reculé devant une dépense purement artistique. On les avait simplement tendus de velours gros vert. Les meubles, les rideaux et les portières de même étoffe, donnaient à la pièce un caractère sobre et grave, calculé pour concentrer sur la table toutes les splendeurs de la lumière.
Et, à cette heure, en effet, au milieu du large tapis persan, de teinte sombre, qui étouffait le bruit des pas, il avait une trentaine de personnes dans le salon les conversations reprirent sous la clarté crue du lustre, la table, entourée de chaises dont les dossiers noirs, à filets d'or, l'encadraient d'une ligne sombre, était comme un autel, comme une chapelle ardente, où, sur
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